Quand Google règnera sur la posthumanité…

Le 19 mars 2011

Jean-Christophe Féraud nous fait part de son enthousiasme pour le roman d'anticipation "Google démocratie". Billet non sponsorisé :)

Palo Alto, Californie, 2018. Sergey « Brain » est l’empereur d’un monde connecté. Google est partout, anywhere, everywhere, anytime. Il a mis à genoux Microsoft, le géant déchu du logiciel qui a initié la grande révolution numérique. Et aussi Apple, dont feu le PDG Saint Jobs, a eu la naïveté de croire que son Å“uvre perdurerait par la seule magie du bel objet technologique et du buzz marketing. S’il avait su…Le business ultime n’était pas dans le design et l’ergonomie mais dans les contenus, la connaissance. L’avenir n’était pas dans la création d’un univers fermé, mais dans la numérisation de l’univers… Google a mis KO ses concurrents mais aussi toute l’économie traditionnelle. La Firme règne sur les médias, les télécommunications, les énergies nouvelles, les biotechs.

Des milliards investis dans la techno-médecine, la cybernétique et le génie génétique

Deux milliards d’individus se connectent chaque jour sur ses serveurs. Google est un Dieu de l’information. Il gère des pétabits1 de données personnelles venues des quatre coins du monde. Dispense l’information comme un fluide vital à une humanité en pleine transformation. Google évangélise. Sa nouvelle religion : la courbe exponentielle du progrès que rien ni personne n’arrêtera. Sa promesse aux fidèles : le salut sur Terre, l’immortalité enfin, ce vieux rêve du pauvre homo sapiens terrorisé par sa fin biologique inéluctable. À coups de milliards de dollars, investis dans la techno-médecine, la cybernétique et le génie génétique, Google est en train de donner naissance à l’homme 2.0, un humain augmenté, sauvé par le mariage avec la machine. Les cures de cellules souches et les nano-robots commencent à réparer en profondeur ce que les liftings et le botox ne faisaient que camoufler grossièrement en surface et de manière trop éphémère. Bientôt le cancer ne sera qu’un mauvais souvenir. Les femmes programment l’ADN de leurs futurs bébés, écartant laideur, tares, maladies, privilégiant la beauté lisse et photoshopée des magazines. La grande sélection a commencé. Google a pris la tête du Projet Transhumaniste.

Google a aussi un projet caché : la Singularité. Une intelligence artificielle « sensible », qui boit comme un vampire tout le savoir de l’humanité pour mieux veiller à sa destinée, prendre en charge son bonheur. Ce projet est soutenu sans réserve par le gouvernement des États-Unis d’Amérique qui domine le monde avec son ennemi économique et géostratégique numéro un, l’empire turbo-capitaliste chinois. La vieille Europe est laminée, appauvrie, exsangue faute d’avoir investi dans la révolution numérique. Le chômage explose, la révolte gronde. La crise grecque du tournant des années 2010 annonçait le début de la fin. Aujourd’hui ses habitants affolés émigrent ou appellent à la révolution bioéthique et technologique contre leurs gouvernements décadents accrochés aux vieilles lunes de la bioéthique, dans l’espoir de rejoindre le camp des vainqueurs. Celui de la prospérité, celui du bonheur éternel, celui de Google.

Serguey a peur, moi aussi

Mais Sergey est inquiet. D’abord son ami Larry, avec qui il a créé Google à la fin du XXe siècle n’est plus là pour voir leur cyber-rêve global se concrétiser. Il a été assassiné par un terroriste bioludite en sortant de sa Tesla Car pour acheter des donuts. Ce taré a expliqué : « Je suis en mission pour tuer l’Antéchrist et sauver l’humanité. » Il y a aussi ces illuminés chrétiens qui s’immolent par le feu. Et leur alliés basanés d’Al-Qaeda, toujours là, qui tentent de faire exploser les fermes de serveurs ultra-sécurisées avec leurs bombes suppositoires quasi-indétectables. Et ce vieux fou pathétique et mourant de Murdoch qui les excite depuis son lit d’hôpital sur Fox News – tout ce qui reste de son empire de médias… Sans parler de Bill Gates, qui est devenu la mère Teresa des pauvres en Afrique , parle de bonté, nique des filles en boubou dans des cases, et consacre le maigre temps qui lui reste à claquer tout son pognon pour sauver la vieille humanité inutile et obsolète qui n’aura pas accès au grand Projet.
Maintenant le moindre expert en IA de seconde zone porte un gilet pare-balles et bénéficie d’une protection rapprochée. C’est la guerre entre l’obscurantisme pré-numérique et et le progrès transhumain… Et Sergey a peur, il est terrorisé à l’idée de mourir avant d’avoir éradiqué en lui le programme de la maladie de Parkinson annoncée par son patrimoine génétique :

Sergey Brain ne voulait pas finir comme Howard Hugues, malade et dément, richissime et parano. Il voulait continuer à vivre. Faire des choses complexes, comme poursuivre le remodelage du monde. Il voulait continuer à façonner l’humanité et vivre comme un chef d’État. Il voulait aussi faire des choses simples comme du trapèze ou baiser sa femme. L’idée de tout perdre le rongeait littéralement (…) Sergei pensait en priorité à sauver sa peau. En bon transhumaniste, il bandait en considérant la courbe exponentielle de la science. Le progrès serait un jour synonyme d’immortalité pour l’espèce humaine…

Coucou, tu veux voir mes circuits intégrés ?

Un techno-thriller qui pose les bonnes questions

Voilà, c’était en résumé le meilleur des Googlemonde, un futur possible très proche, tel qu’il est raconté dans Google Démocratie. Ce formidable roman d’anticipation, qui résonne des dernières avancées technologiques et des grandes inquiétudes éthiques qui leur sont associées, sort cette semaine chez l’éditeur Naïve. Ses auteurs sont David Angevin (qui a notamment signé Dans la peau de Nicolas, la fausse autobiographie de Sarkozy) et Laurent Alexandre, chirurgien urologue et fondateur du site Doctissimo. J’ai pris un vrai pied en le lisant avec un peu d’avance sur vous (le privilège du blogueur). Mais ceci n’est pas un billet sponsorisé ;) Juste une critique coup de cÅ“ur. J’ai d’autant plus halluciné en lisant ces quelque 400 pages que j’y ai retrouvé beaucoup de mes propres interrogations sur le pouvoir qui est désormais entre les mains de Google. J’ai suivi l’irrésistible ascension de la Firme en tant que journaliste depuis ses débuts en 1998. En observateur conquis et naïf.
Mais ces dernières années, ces derniers mois j’ai un peu pris peur en prenant conscience que Google était en train non seulement de numériser notre monde, mais aussi notre vivant. J’ai été très inquiet en entendant son (ex) PDG, Eric Schmidt déclarer : “Ce que nous essayons de faire c’est de construire une humanité augmentée, nous construisons des machines pour aider les gens à faire mieux les choses qu’ils n’arrivent pas à faire bien.” J’en ai fait ce billet : “L’homme augmenté selon Google, vers une transhumanité diminuée”. Voilà ce que j’écrivais le 4 octobre dernier :

Google est DÉJÀ un véritable prolongement de nous-mêmes, une extension, un pseudopode numérique de notre cortex. Google est dans votre tête, vous connaît mieux que quiconque à force d’enregistrer vos moindres faits et gestes sur le web. Avez-vous déjà essayé de vivre sans Google ? (…)Vous ne pourrez plus vous passer de Google, sauf à être un homme “diminué”. C’est en tout cas le projet assumé des dirigeants de “La” Firme. Sergey Brin, le fondateur de Google, a récemment dit qu’il voulait faire de sa création “le troisième hémisphère de notre cerveau”

À croire que les auteurs de Google Démocratie ont aussi lu mon blog en se documentant ;) Mais comme Sergey Brain, je dois être salement mégalo haw haw :D

Je suis un être humain, pas un transhumain

On peut aussi lire Google Démocratie comme une nouvelle resucée du “Big Brother” d’Orwell ou du Meilleur des Mondes d’Aldous Huxley. Mes saines lectures de jeunesse. Mais c’est assumé par les auteurs. Et leur livre vaut bien mieux que cela. Ce techno-thriller cyberpunk est non seulement plaisant à lire, mais il pose vraiment les bonnes questions. Perso, les transhumanistes et leur trip de sélection aryenne à la Mengele me font sacrément flipper. Surtout quand leur message raisonne de manière irraisonnée dans le projet de s dirigeants de la Firme la plus puissante du monde. Je dois être vieux, old school, mais je n’ai pas peur de mourir : « Je suis un humain, pas un post-humain, ni un transhumain. Je fume (un peu), je bois (un peu), je vis, j’aime, trop vite, trop fort comme beaucoup d’entre nous. Life is good. Mais comme vous, je vais mourir un jour et Google n’y pourra rien… » (je m’autocite encore ;) Et quand je lis en préface de Google Démocratie ces mots attribués à un employé de Google…

Nous ne scannons pas tous les livres de la planète pour qu’ils soient lus par des hommes. Nous scannons ces livres pour qu’ils soient lus par une intelligence artificielle.

… j’y crois, je suis fasciné et quelque part techno-enthousiaste je vous le confesse…mais je suis aussi pris de vertige. Forcément. Et je pense à Michel Serres pour qui « un nouvel humain est né » : le philosophe « voudrait avoir dix-huit ans puisque tout est à refaire, tout reste à inventer. » Il vient de signer un texte magnifique d’optimisme dans Le Monde pour nous dire d’avoir confiance en l’homme, avec le progrès. Mais je pense aussi à Michel Houellebecq qui annonce l’obsolescence de l’humanité dans tous les sens du terme. Et aussi à une autre voix, celle du philosophe slovène Slavoj Zizeck qui annonce « la fin des temps » dans son dernier essai. Ecoutez-le ici sur France Culture : il pense que le capitalisme a atteint son stade ultime et pousse désormais l’humanité à sa perte. À moins que l’on ne soit déjà entré avec Google et quelques autres dans la post-humanité, dans la singularité, un nouvel empire machine construit pour bien plus de mille ans…

Google Démocratie, par Laurent Alexandre et David Angevin (399 pages, 21 euros, parution le 9 mars chez Naïve)

P.S : vous n’y croyez pas ? Les propagandistes du culte transhumaniste, dont on retrouve l’origine-source ici sur le site de la Singularity University [en] ou là avec le Manifeste des Extropiens de Max Moore, sont déjà à l’Å“uvre. Par exemple dans le dernier clip de Lady Gaga comme nous l’expliquent nos amis blogueurs et complotistes ;) des Agents Sans Secret. Jugez-en plutôt par vous même en vous concentrant sur l’intro :


Billet initialement publié sur Mon écran radar

Images CC Flickr Sasha Nilov et FORSAKENG

  1. 1015 bits, source []

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