C’est la question posée par Larry Sanger [en] (via Pablo).
Le constat de Sanger est le suivant :
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Aux États-Unis, cela se traduit aussi par des idées comme quoi l’éducation supérieure serait une “bulle” [en], au sens d’être un produit sur-valorisé par rapport à sa valeur réelle. Et certains geeks d’affirmer que les études sont, au fond, inutiles [en].
Sanger s’inquiète que cet état d’esprit gagne en importance et s’étende à toute la société, filant tout droit à l’idiocracy. Je pense qu’il est déjà trop tard pour s’inquiéter :
Il y a des biais “geeks” évidents dans cette façon de penser. C’est vrai, on peut fonder sa start-up Internet et réussir sans études longues. C’est vrai, les “compétences” développées par ces geeks sont plutôt utiles à la société. Mais il n’est pas dit que toute cette philosophie geek soit applicable aux autres domaines du savoir. Qu’on songe par exemple à la “Do-It-Yourself Biology”, la biologie du garage, des biohackers : à mon sens, il est impossible de faire quelque chose de vraiment raisonnable, innovant et sécuritaire sans un minimum de savoir et de savoir-faire universitaire. Il n’y a pas non plus de “do-it-yourself physics” : même des expériences relativement simples à faire demandent, pour être pertinentes , une réflexion en amont, une “profondeur” de pensée et une connaissance de la physique certaine (songez aux gouttes qui rebondissent d’un billet précédent). Enfin, il y a clairement un problème matériel de coût : un étudiant peut s’acheter un ordinateur et directement apprendre à programmer, alors qu’il faut une petite fortune pour s’acheter les équipements de base dans n’importe quelle science expérimentale.
Au fond, je me demande si cette façon de penser ne marque pas surtout la prédominance de plus en plus importante du génie (au sens ingénierie) sur la science elle-même. La science se retrouve en fait victime d’un double complexe de Frankenstein : d’une part, la créature (la technique) est constamment assimilée au créateur (la science), tout comme on fait souvent la confusion entre le monstre et le nom “Frankenstein”. Le grand public confond ainsi allègrement science et technique, le terme même de “geek” recouvre ces deux réalités différentes de l’académique et du technophile. D’autre part, la technique comme fin en soi tend donc à se substituer à la science, comme la créature se retourne contre son créateur. Les geeks Internet sont à la pointe de ce mouvement en considérant en somme que toute connaissance est réductible à un problème technique, et c’est là l’origine profonde de cet anti-intellectualisme. Souvenons-nous également de cette révélatrice anecdote canadienne. Plus que l’idiocracy, c’est la technocratie qui triomphe.
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Billet initialement publié sur Matières Vivantes
Image CC Flickr pcorreia