OWNI http://owni.fr News, Augmented Tue, 17 Sep 2013 12:04:49 +0000 http://wordpress.org/?v=2.9.2 fr hourly 1 L’agence tous leaks http://owni.fr/2012/08/29/lagence-tous-leaks/ http://owni.fr/2012/08/29/lagence-tous-leaks/#comments Wed, 29 Aug 2012 16:49:26 +0000 Pierre Alonso http://owni.fr/?p=119045 "son propre média", selon la recette éprouvée de WikiLeaks.]]>

L’aventure de WikiLeaks se poursuit, et pas seulement avec les imbroglios judiciaires et diplomatiques de son fondateur Julian Assange. Des projets similaires se multiplient. L’année dernière était lancé Open Leaks par Daniel Domscheit-Berg, une ancienne figure de l’organisation de Julian Assange. Sans grands résultats à ce jour.

Anonymous dans le pré de WikiLeaks

Anonymous dans le pré de WikiLeaks

Des collectifs d'Anonymous aussi ont leur propre plateforme de diffusion d'informations confidentielles, leur WikiLeaks sauce ...

Des plateformes de recueil d’informations confidentielles ont été déclinées dans plusieurs pays (French Leaks, MagyarLeaks) et sur différents sujets (EnviroLeaks). La bannière Anonymous flotte même sur une autre déclinaison, Par:noia.

Lanceurs d’alerte

Des initiatives intéressantes qui n’ont pas satisfait Pedro Noel, un activiste brésilien venu du mouvement Occupy, et ancien de “WikiLeaks Central”. Il fait partie des fondateurs de l’Associated Whistleblowing Press (AWP), un collectif qui vient de lancer son site – whistle.is. Un projet ambitieux au nom évocateur : le nom de la célèbre agence américaine – Associated Press – est saupoudrée d’une composante de “lancement d’alerte” (whistleblowing en VO). AWP s’inspire des réussites comme des échecs de WikiLeaks, explique Pedro Noel, joint par chat :

Nous ne voulons pas être des rivaux de WikiLeaks. Nous sommes simplement plusieurs personnes à avoir quitté WikiLeaks Central pour lancer un autre projet, car c’est devenu un portail pour les médias très centré sur Assange et WikiLeaks.

AWP veut être son propre média. L’équipe est composée d’environ six éditeurs, dont les deux fondateurs, Pedro Noel donc, et Santiago Carrion. Le site est hébergé en Islande, un pays “qui se bat pour fournir aux éditeurs, journalistes et lanceurs d’alerte un cadre légal protecteur”. Au sein de AWP, les rôles tourneront. Pedro Noel est rédacteur en chef pour le moment, mais ne devrait pas le rester. Les décisions sont prises de façon concertée, en respect de la philosophie hacktiviste.

Le collectif veut englober toute la chaîne de diffusion d’informations confidentielles (les leaks). Depuis la récolte via une plateforme sécurisée jusqu’au traitement des données et leur publication. Une réaction aux “médias commerciaux” pour lesquels AWP affiche une forte défiance. Sur leur site, ils écrivent :

La censure est pratiquée de façon quotidienne dans les médias de masse – des informations cruciales sont négligées, l’apathie est encouragée. Tout est fait pour maintenir ou augmenter la puissance des propriétaires des médias ainsi que le milieu socio-économique auquel ils appartiennent. Est alors affectée la nature même du journalisme : fournir des informations impartiales, justes pour que les citoyens soient gouvernés correctement.

Les mots sont durs, mais dans les faits, AWP ne considère pas “les médias commerciaux” de façon indiscriminée. Plusieurs grands journaux européens ont été contactés pour établir des partenariats, encore à l’étude. Des raisons plus pragmatiques expliquent cette méfiance. Les fondateurs avouent avoir été déçus par le traitement des leaks, par les médias ou WikiLeaks, et par leur impact parfois limité.

“Les moyens actuels pour publier les données fuitées sont très inefficaces” déplorent-ils dans la présentation de leur site. “La diffusion d’informations confidentielles continue de dépendre des médias commerciaux pour combler le vide entre les données brutes et les véritables infos.”

“Aider les communautés”

L’ambition est de revenir à des niveaux plus modestes, ne pas forcément chercher à faire trembler la terre entière mais privilégier un impact plus local et plus direct. La plateforme sécurisée d’AWP se déclinera en plusieurs plateformes régionales, locales. “Il faut convaincre les gens de faire fuiter tout ce qui touche à la vie de la cité, public ou privé” détaille un journaliste intéressé par l’aventure.

Là encore point une distinction nette avec WikiLeaks : “C’est un problème que des organisations comme WikiLeaks soient très centrées sur le monde anglo-saxon et ne révèlent des informations que d’intérêt mondial et souvent en lien avec les États-Unis” explique Pedro Noel. “Nous voulons AIDER les communautés” assène-t-il.

Dans l’idéal, les plateformes locales permettront à des membres d’une mairie ou d’une entreprise, même petite, de transmettre en toute discrétion des documents que des journalistes du coin traiteront. Dans l’idéal seulement. Les éditeurs contrôlent les informations du début à la fin, et pourraient choisir d’en favoriser certaines. Le mélange des genres entre activistes, blogueurs et journalistes fait aussi craindre que AWP se transforme en un site militant, tout feu tout flamme. Un temps, l’équipe avait pensé au nom de domaine dénoncer.fr, avant qu’un membre français de l’équipe rappelle la forte charge symbolique du terme.


Illustration la galerie Flickr de Truthout [CC-byncsa]

Mise à jour, 30 août, à 16h : AWP a précisé qu’ils avaient des liens avec WikiLeaks Central, et non WikiLeaks.

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La constitution islandaise, c’est pas l’irruption http://owni.fr/2011/10/12/constitution-islande-pas-irruption/ http://owni.fr/2011/10/12/constitution-islande-pas-irruption/#comments Wed, 12 Oct 2011 07:15:14 +0000 eric eymard http://owni.fr/?p=82947 Maniés avec talent, les mots peuvent donner l’illusion d’une réalité. Exploités par des experts, ils sont le moyen de faire prendre les vessies d’une démocratie qui se cherche pour les lanternes d’un processus révolutionnaire sans précédent. Ainsi, décrite comme une « e-révolution citoyenne », la révision constitutionnelle entamée il y a quelques mois en Islande avec le concours de la population de l’île a généré les descriptifs extatiques et les commentaires fébriles de nombreux médias et d’une partie de la blogosphère engagée.

Un processus inédit qui pourrait préfigurer la démocratie de demain,Télérama , 23 juin 2011.

Evènement peut-être plus considérable que la nuit du 4 août 1789,Parisseveille.info, décembre 2010.

25 citoyens ordinaires élus pour rédiger une nouvelle constitution,Cyberpresse.ca, 30 novembre 2010.

Révolution citoyenne en Islande, LePoint.fr, 4 octobre 2011.

Fin juillet, les 25 membres du Conseil Constitutionnel ont remis leurs 9 chapitres de recommandations au Parlement (Althing), qui devrait les examiner dans le courant du mois. La participation et l’implication autochtones ont-elles été à la hauteur de l’effervescence constitutionnelle dépeinte ? Les constituants désignés par leurs pairs portaient-ils les équivalents locaux de nos bérets et baguettes ? Les serveurs informatiques des Facebook, Twitter, Youtube et autre Flickr ont-ils pu accueillir les vagues incessantes de propositions adressées jour et nuit par des dizaines de milliers d’islandais enthousiastes attendant que les 25 “sages” exploitent leurs souhaits de changer leur île, avant peut-être de révolutionner le monde ?

Une “mobilisation interstellaire” de 1% de la population

Qu’on en juge : d’abord, le scrutin mis en place pour désigner les membres de l’Assemblée Constituante a recueilli moins de 36% de votants ; jamais le désintérêt populaire ne s’était manifesté avec une telle ferveur lors des élections passées. Pour Ragnhildur Helgadóttir, professeur de droit de l’Université de Reykjavik, cette faible participation “pose des problèmes éthiques”. Mais pour les commentateurs impartiaux de “l’évènement Islandais”, la désaffection massive des électeurs n’entament ni l’importance planétaire, voire inter-stellaire de la démarche, ni son caractère démocratique.

Avocats, journalistes, universitaires, dirigeants d’entreprise… En fait de “citoyens ordinaires”, la plupart des 25 membres de l’Assemblée Constituante sont des personnalités dont la notoriété et/ou les responsabilités publiques présentes ou passées sont avérées. Des personnalités qui après avoir été élues, ont dû être “désignées” par le Parlement, suite à l’annulation de l’élection par la Cour Suprême pour quelques vices de forme susceptibles de nuire à la confidentialité du scrutin. Un choix politique que l’enseignante en droit n’estime pas “idéal”. En définitive, les 25 constituants “ont été choisis par l’Althing” et non par le peuple ; pour cette raison, elle considère le scrutin comme non démocratique.

Réunion du Þjóðfundur, l'assemblée populaire chargée de rédiger une nouvelle constitution pour l'Islande.

Enfin, ramenés à la population de l’île (318.000), les 3 600 commentaires et 370 suggestions totalisés en l’espace d’environ 3 mois, tous réseaux sociaux confondus, témoignent d’un “réel engouement” qui a respectivement dépassé… 1,1% et 0,1%. Cette formidable démocratie participative exploitant le Net plus ultra de la modernité virtuelle aurait-elle enregistré quelques beugues ?

“C’est la démocratie de demain, nom d’une source d’eau chaude !” hurleront certains journalistes et prolixes rédacteurs de la blogosphère lestés du discernement d’un troupeau de moutons confondant les retombées cendrées d’Eyjafjallajökull avec l’impressionnante brume automnale des Fjords de l’Est. La mise en scène d’une e-démocratie conduite par les notables et les élites de la nation aurait-elle eu un écho comparable ?

Une expérience… à confirmer

Reste que si le projet présenté est encore imparfait, beaucoup se réjouissent de son existence. Et en définitive, comme le fait remarquer Kjartan Jónsson, candidat malheureux à l’élection de l’Assemblée Constituante en novembre 2010, peu importe que des “têtes d’affiche” aient été désignées pour revoir la constitution, car “ils ont su aborder les changements que beaucoup voulaient voir mis en place” et ce malgré les tentatives du Parti de l’Indépendance (formation conservatrice au pouvoir pendant près d’un demi-siècle) de nuire au bon déroulement du scrutin.

Alors processus révolutionnaire ou pas, suffrage 100% citoyen ou non, il faut souhaiter que les profonds changements attendus par les Islandais et auxquels s’opposent une petite mais puissante oligarchie insulaire, puissent aboutir.

En revanche, n’en déplaisent à ceux qui, pour des motivations mystérieuses (prosélytisme ? marketing ? propagande ?), ont souhaité travestir la réalité plutôt que de décrypter l’Histoire, les transformations nécessaires engagées en Islande n’en sont encore qu’à leurs balbutiements. Les présentations euphoriques, les dithyrambes enflammées, les altérations enthousiastes de la situation de l’île n’y changeront rien.


Article également publié sur le blog Vivre en Islande

Retrouvez l’ensemble de nos articles au sujet de l’Islande, ainsi que l’interview par Nonfiction.fr de Dominique Cardon.

Photos FlickR Paternité Stjórnlagaráð ; PaternitéPartage selon les Conditions Initiales briansuda.

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http://owni.fr/2011/10/12/constitution-islande-pas-irruption/feed/ 61
Faillite de Icesave : qui paiera pour le non des Islandais ? http://owni.fr/2011/04/20/islande-referendum-icesave-banques/ http://owni.fr/2011/04/20/islande-referendum-icesave-banques/#comments Wed, 20 Apr 2011 17:59:47 +0000 Stanislas Jourdan http://owni.fr/?p=58177 Le 9 avril dernier, les Islandais ont rejeté à 59% l’accord prévoyant le remboursement des gouvernements britannique et néerlandais dans le cadre de la faillite de la banque en ligne Icesave.

De nombreuses voix se sont félicitées du refus des Islandais de payer pour les erreurs des banquiers. Certains allant même jusqu’à qualifier la victoire du “non” au référendum de “rébellion contre la finance internationale” ou de “victoire contre les banksters”. Une analyse un peu rapide.

La garantie des dépôts, éternel talon d’Achille du système bancaire

Dans la plupart des pays la protection des déposants n’est que purement théorique. En effet, comme le soulignent plusieurs rapports de banque centrale et autres économistes, les fonds de garantie sont en réalité largement sous-capitalisés, de sorte que le système ne peut en aucun cas subvenir à une faillite systémique.

En France, par exemple, notre fonds de garantie des dépôts ne dispose que de 1 à 2 milliards d’euros tandis que de son coté, le fonds de garantie islandais, le tryggingarsjodur n’était doté que de 47 millions d’euros en 2008, notamment en raison du fait qu’il n’était pas conçu pour faire face à une augmentation aussi extensive du montant des dépôts des banques islandaises. Mais comme le précise la directive européenne, c’est aux États d’accueil des banques étrangères (par exemple les autorités hollandaises et anglaise dans l’affaire islandaise) de s’assurer de la conformité du système de garantie des dépôts des banques étrangères agissant sur leur territoire. Torts partagés sur ce point, donc.

Le recours de cet affaire devant une cour de justice devrait donc permettre d’y voir plus clair sur la signification exacte des traités. Néanmoins, il n’y a que peu de chances que l’Islande ne paie pas. La question est plutôt de savoir : qui paiera entre la banque (nationalisée) Landsbanki par la vente de ses avoirs, et le gouvernement islandais (c’est à dire les contribuables) ? La nuance est lourde de conséquences, en Islande comme dans le reste de l’Europe.

L’affaire Icesave

L’histoire d’Icesave débute en 2006. Filiale de la banque islandaise Landsbanki, c’est un établissement bancaire en ligne créé pour s’adresser à une clientèle européenne. Avec de hauts rendements proposés aux déposants, Icesave capitalise plus de 700 millions d’euros en quelques mois et gagne rapidement les faveurs de 320.000 clients anglais et néerlandais, et ouvre des succursales en Grande-Bretagne et aux Pays-Bas, donc avec l’accord des autorités bancaires locales.

Mais la crise financière de septembre 2008 emporte Icesave – comme 85% banques islandaises. Icesave est en banqueroute et doit plus de 3,8 milliards d’euros de dépôts. Or, le 6 octobre 2008, la banque est nationalisée, reportant indirectement le poids de cette colossale dette (40% du PNB du pays) sur l’État islandais.

Il faut dire que nous étions à cette époque là au plus fort de la crise : Lehman Brothers venait de tomber le 30 septembre, et toutes les banques européennes étaient sous pression de fuite des dépôts. Un non-remboursement des clients d’Icesave aurait donc pu créer un dangereux précédent en Europe, et précipiter le secteur bancaire dans la banqueroute généralisée.

Du coup, les États néerlandais et britannique se sont empressés de garantir les déposants de Icesave (jusqu’à 50.000 £ en Angleterre, et 100.000 euros en Hollande) en utilisant leur propre fonds de garantie, avant de se retourner vers l’état islandais pour obtenir le remboursement de ces sommes.

Pour cela, ils vont utiliser tous les moyens possibles : de l’utilisation de la loi anti-terroriste par le gouvernement britannique pour geler les actifs de Landsbanki, aux pressions diplomatiques anglaises et hollandaises pour bloquer le renflouement du pays prévu par le FMI. C’est dans ces circonstances particulières que le gouvernement islandais donne finalement en novembre 2008 son accord de principe pour que les dépôts soient remboursés, à hauteur de 20.000 euros par client, le montant des garanties fixé par le système de garantie des dépôts irlandais.

Les négociations commencent alors entre les gouvernements islandais, britannique et néerlandais, et aboutissent en juin 2009 à un accord demandant à l’Islande de rembourser 3,8 milliards d’euros, sous la forme d’un emprunt à 5,5% de taux d’intérêt à rembourser sous 15 ans.

Mais, poussé par une pétition recueillant plus de 50.000 signatures, Ólafur Ragnar Grímsson, le président islandais, refuse de ratifier le texte et provoque un référendum qui se concrétise le 6 mars 2010 par un rejet de l’accord par 93% des suffrages.

L’Islande reprend donc les négociations avec l’Angleterre et les Pays-Bas et obtient cette fois-ci un accord beaucoup plus avantageux, que le parlement adopte le 16 février dernier. C’est cet accord qui a été rejeté lors du dernier référendum, renvoyant probablement l’affaire devant une cour de justice européenne.

L’issue d’une telle procédure est justement assez incertaine. Car la question qui se posera au parquet européen n’est pas tant d’ordre morale, comme l’a été dans une certaine mesure l’objet du référendum, que d’ordre légal.

Une improvisation coupable ?

En tant que branche (et non filiale) de Landsbanki, Icesave était soumis au système de garantie des dépôts islandais, et non britannique ou néerlandais. Or, aucun texte de loi n’oblige un Etat à se substituer au fonds de garantie des dépôts d’un autre pays comme l’ont fait Londres et Amsterdam. C’était donc au fonds islandais de rembourser directement les clients, et les gouvernements néerlandais et britanniques auraient a priori dépassé leurs prérogatives en prenant les devant.

De même, l’Etat islandais n’avait pas nécessairement à avancer sa garantie souveraine puisqu’en principe, le fonds de garantie des dépôts est le premier exposé à la défaillance d’une banque. Les traités européens et de l’Alliance européenne de libre-échange (AELE) à laquelle appartient l’Islande le stipulent d’ailleurs très bien. Ce que l’EFTA, l’autorité financière de l’AELE n’a pas manqué de rappeler en mai dernier :

L’autorité de surveillance a la tâche de s’assurer que l’Islande, la Norvège, et le Liechtenstein se conforment aux termes de l’accord européen de libre échange. La directive [94/19/EC, ndlr] sur la garantie des dépots fait partie de ces termes. Selon cette directive, l’Islande était obligée de garantir – après Landsbanki – les déposants des branches néerlandaises et britanniques de la banque Icesave, à hauteur de 20.000 euros.

Mais, même si l’Islande doit concourir à son fonds de garantie en dernier ressort, le gouvernement islandais, en promettant son soutien direct aux clients de Icesave, a offert aux Pays-Bas et à l’Angleterre un mauvais prétexte de traiter directement avec lui, plutôt qu’avec le fonds de garantie islandais, ou mieux : la banque Landsbanki !

Ce qui est plutôt étrange, vu que le gouvernement assure depuis toujours – et le répète aujourd’hui – que les actifs de la banque permettraient de rembourser au moins 90% des dépôts des anciens clients de Icesave. C’est bien à eux que devraient revenir les gains de la vente de ces actifs si la procédure avait été normalement suivie.

Ce sont donc en partie à cause de décisions précipitées dans un contexte de panique que l’on se retrouve dans cette situation absurde : une dette privée de Landsbanki envers des clients européens se transforme en dette souveraine de l’Islande envers le gouvernement britannique et néerlandais.


Photo flickr Courtesy InDefence ; CC Artyvee ; CC Helgi Hall

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http://owni.fr/2011/04/20/islande-referendum-icesave-banques/feed/ 8
La jeunesse islandaise, trois ans après la crise http://owni.fr/2011/04/20/la-jeunesse-islandaise-deux-ans-apres-la-crise/ http://owni.fr/2011/04/20/la-jeunesse-islandaise-deux-ans-apres-la-crise/#comments Wed, 20 Apr 2011 17:29:44 +0000 Loic H. Rechi http://owni.fr/?p=58147 Depuis 2009, j’ai vécu avec l’idée fixe qu’il fallait aller absolument en Islande parce qu’il devait forcément s’y produire une sorte de révolution culturelle, à commencer au sein de la jeunesse. Un an avant, l’Islande s’était mangée dans la gueule la crise économique la plus violente de son histoire, un séisme qui en l’espace de quelques semaines embrasa tous les recoins et toutes les âmes de ce petit pays de 320 000 habitants.

L’histoire est on ne peut plus banale. Pendant une quinzaine d’années, de 1991 à 2004, le Parti Indépendant – la droite du pays – sous l’impulsion du Premier ministre David Oddsson, libéralise tout ce qui peut l’être, à commencer par la pêche, l’énergie et les capitaux. Quand Oddsson laisse sa place de Premier ministre, c’est pour prendre la tête de la banque centrale du pays dans la foulée. Il  supervise alors avec bienveillance la folie des banquiers qui consentent des crédits à tout va aux Islandais grâce à quelques montages foireux à l’étranger. En 2008, ce socle de crédits spéculatifs vole en éclat et les banques islandaises – très interdépendantes – s’écroulent une à une. Incapables d’assurer leurs obligations à l’égard de leurs clients, celles-ci sont nationalisées en catastrophe, histoire d’éviter que le pays n’implose.

La crise qui s’ensuit est sans précédent et pour la première fois de mémoire d’Islandais, des dizaines des milliers d’individus descendent dans les rues en décembre 2008 et janvier 2009, érigent des barricades et traquent même physiquement ces banquiers et hommes politiques qu’ils estiment – à raison – être responsables de la catastrophe qui leur tombe dessus.

Un an et demi plus tard, le 17 juin 2010, je débarque donc en terre de glace, à la recherche de la progéniture islandaise, accompagné de David Arnoux, ami et fidèle photographe. L’avion atterrit à Keflavik, l’aéroport de Reykjavik à deux heures du matin, mais à cette période de l’année, la nuit ne tombe plus. C’est le jour de la fête nationale.

Arrivé dans le centre-ville, je me retrouve plongé dans l’ivresse de ceux que je suis venu chercher. La jeunesse est là, complètement défoncée. Le sol est jonché de bouteilles en verre et de vomi. Les individus se déplacent par petit groupe, passent d’un bar à l’autre et ressemblent à la jeunesse de n’importe quel État occidental. D’autres, trop jeunes pour rentrer dans les bars, remontent Laugavegur – l’artère principale – et friment comme des tocards, picolant à bord d’énormes 4×4 peut-être achetés par leurs parents avec un de ces crédits foireux.

Le temps de poser nos affaires dans une auberge du centre que nous voilà déjà dans un bar à descendre des shots d’un alcool sombre infâme en compagnie de Philippe, un Français installé là-bas depuis cinq ans. Le garçon travaille dans un bar branché du centre, connait un peu tout le monde à Reykjavik (une ville de 120 000 habitants) et nous explique rapidement que nombre de jeunes entre 20 et 35 ans ont à peu près tout arrêté pour se concentrer sur la création artistique.

La nuit avance et il nous traine à Bakkus, haut lieu du cocon artistique local. Nombre de jeunes gens que je fréquenterai dans les jours suivants y travaillent; tous sans exception y squattent pour picoler. J’y finirai régulièrement mes nuits, croisant même quelques illustres personnalités locales comme Jónsi, le chanteur de Sigur Rós. Au delà de son statut de lieu de socialisation et de débauche, Bakkus est un premier indicateur de la situation et cristallise le refus de ces jeunes de se construire une carrière classique, préférant à peine subsister économiquement pour se concentrer sur leur art.

Frikki entouré de ses œuvres

L’art (de faire) du fric

Deux jours après notre arrivée, Philippe nous introduit auprès de Frikki, un plasticien d’une trentaine d’années, chez qui on créchera pendant une dizaine de jours. Étonnant au premier abord, il voit des motifs de satisfaction politiques et sociaux dans la crise. Faire tabula rasa du passé s’impose comme une idée très populaire parmi la jeunesse. Artiste depuis toujours, Frikki est ainsi plus optimiste aujourd’hui qu’il y a deux ans. Tout d’abord parce que la crise a changé les esprits et engendré un rejet de la politique telle qu’elle est pratiquée partout dans le monde.

Avant, les gens dans mon genre qui pensaient différemment du gouvernement étaient regardés de haut et se faisaient même parfois insulter. Le terreau est désormais plus fertile pour penser différemment. J’ai toujours détesté cette folie capitaliste et je me suis toujours demandé si j’étais stupide ou pas. Je savais qu’il y avait une logique derrière ce système, mais je ne l’aimais pas. J’avais ce sentiment qu’ils étaient dans l’équipe gagnante et que moi j’étais avec les perdants. Depuis, ce sentiment n’est plus aussi fort.

Du point de vue artistique, la crise a joué un rôle primordial également. Jusqu’en 2008, certains artistes vivaient sur le dos des banquiers, ne se privant pas de vendre leur production à ceux qu’ils se plaisent à détester aujourd’hui. Il n’était pas rare à l’époque qu’un artiste ait son propre mécène. Pour Mundi Vondi – un jeune designer de 23 ans à la réputation internationale naissante – les artistes se sont laissés complètement abuser par le pognon qui inondait le milieu de l’art, et ont cessé d’être des garde-fous de la société pour devenir des clowns à la solde des banquiers. Tous s’entendent sur le fait que la crise a permis aux artistes d’évacuer la dimension monétaire pour se concentrer sur le travail exclusivement.

Mundi Vondi

Solla et Porgerdur, deux jeunes femmes artistes de 25 ans ont ainsi profité de la crise pour récupérer une vieille maison du centre et la transformer en une galerie. Plus qu’un moyen de gagner de l’argent – à part quelques étrangers de passage, personne ou presque n’achète d’art ces jours-ci – la galerie Crymo est une façon de donner de la visibilité à de jeunes artistes et surtout l’endroit idéal pour se retrouver autour d’un thé, d’un café ou d’un pétard afin de discuter d’art et de s’interroger sur l’évolution de la société islandaise.

Tous ont participé aux manifestations de décembre 2008 et janvier 2009, et tous s’accordent sur le fait que la jeunesse a acquis une conscience politique qui faisait cruellement défaut jusque là. Avant cette crise, la jeunesse islandaise a toujours été profondément consumériste et peu nombreux étaient ceux qui s’interrogeaient sur les conséquences durables de quinze années d’ultra libéralisation de l’économie. Aucun ne semblait particulièrement choqué que leurs parents puissent acheter sur un coup de tête une baraque ou un Range Rover à crédit. Comme le raconte Mundi en pleine redescente de l’alcool ingurgité la veille, affalé dans le canapé rouge de son studio, la plupart des artistes n’a pas souffert à proprement parler de la crise car ils ne possédaient rien ou presque, et n’avaient pas croqué dans la pomme empoisonnée du crédit.

Mais ce n’est pas le cas de leurs parents qui ont souvent dû revendre des biens qu’ils n’avaient même fini de payer. Les jeunes comme Mundi en veulent aux banquiers et aux hommes politiques mais ne sont pas dupes de la situation qui prévalait avant la crise. Solla, cette jolie galeriste-artiste de 25 ans tire ainsi un constat sans pitié.

Ce qui se tramait était évident pour qui voulait bien le voir. Sauf que 90% de la nation a choisi de ne pas faire de vagues, de faire semblant de dormir. J’ai été élevée par des gens de gauche, je savais donc que ce n’était pas une situation saine. Je suis en colère contre les politiques de droite et David Oddsson qui ont fait péter toutes les barrières, ont tout libéralisé et rendu la tâche si facile aux banquiers pour faire n’importe quoi. Rien que les quotas sur le poisson. Ca a fait mourir ces petites villes et c’était sans doute le point de départ à toute cette merde.

L’histoire des quotas sur le poisson illustre à merveille le ressentiment et le malaise de ces jeunes vis à vis de leurs politiques. En 1984, le gouvernement de droite instaure un système selon lequel chaque propriétaire de bateau possède le droit théorique d’acheter une quantité de poisson proportionnelle à sa taille. Puis en 1990, sous l’impulsion des politiques économiques agressives menées par le Parti Indépendant, ces quotas deviennent transférables. Les propriétaires de gros chalutiers rachètent alors leurs quotas aux petits pêcheurs et en l’espace de quelques années à peine, l’ensemble des ressources en poissons de tout le pays se retrouve concentré dans quelques mains, une aberration et un motif de colère pour chaque Islandais.

Solla sur les marches de la galerie CRYMO

De la politique comique au comique politique

Ce voyage en Islande a été l’occasion de louer une caisse et de remonter un bout pays du Sud au Nord en sillonnant à travers mer et montagne pour aller jusqu’à Flateyri, un des ces minuscules villages de pêcheurs situé au fin fond des fjords de l’Ouest qui paient les conséquences de cette libéralisation sauvage. Là-bas, la petite usine de poissons est en cessation de paiement, mais depuis la crise, une nouvelle population est apparue. Des artistes encore et toujours. Ne voulant plus assumer la vie chère propre à Reykjavik, ils viennent ici se consacrer à leur art et passer du bon temps. On se lève à l’aube quand on ne se déchire pas trop la tête la veille pour aller pêcher quelques soles, faire de la confiture ou du pain.

Là-bas, j’ai atterri chez Malgorzata, une Polonaise de 27 ans qui vit en Islande depuis quatre années. Mélange d’écrivain, de peintre, de designeuse et de guide touristique francophone, pour gagner un peu de thunes en été,  Mao – son surnom – est devenue Islandaise d’adoption. Elle maitrise parfaitement la langue et fait partie de ces électrons libres de la scène islandaise. Au chômage, elle a pris le parti de quitter Reykjavik notamment parce qu’avec les 35% d’inflation consécutive à la crise, acheter du vin, du café, des cigarettes ou de l’essence devenait très compliqué pour elle. Pas pessimiste pour autant, Mao considère que la crise a aidé à se recentrer sur des valeurs moins capitalistes, des valeurs de partage et d’écoute.

Malgorzata AKA Mao

Beaucoup des amis islandais de Mao viennent passer des périodes indéterminées dans ce petit paradis naturel du bout du monde. C’est le cas de Lili, une productrice freelance de films publicitaires et de séries. Au détour d’une clope et d’un café dans le jardin de Mao, cette jeune fille pas tout à fait trentenaire me raconte que beaucoup de gens de sa famille sont aujourd’hui dans la merde mais que les Islandais ont été enivrés par l’argent.

Comme tant d’autres, Lili est en colère et espère que banquiers et les politiciens devront payer un jour pour le mal qu’ils ont fait à ce pays. Elle concède pourtant que le fait de participer aux manifestations et de voir ses proches morfler lui a fait prendre conscience de l’importance de participer à la vie politique. Comme à peu près tous ces jeunes avec qui j’ai trainé durant deux semaines, elle a voté pour Jon Gnarr, le comique le plus connu du pays devenu contre toute attente maire de Reykjavik en juin 2010.

De retour à Reykjavik, j’ai eu l’occasion de parler longuement de cette élection avec Frikki et Kristján Freyr – le manager du label Kimi Records – qui connaissent tout deux très bien cet ovni qui a fait rentrer des femmes au foyer et des chanteurs punk au conseil municipal de la ville. Pour eux, l’élection de Jon Gnarr traduit en fait le ras le bol vis-à-vis de la corruption des hommes politiques locaux, et met sur le devant un mec honnête, à l’esprit non sclérosé par le bullshit habituel qui sied si bien aux gouvernants.

Dans une société minuscule où tout le monde se connait, les collusions entre politiques, banquiers et journalistes étaient souvent outrageantes en raison de réseaux d’influence sont très resserrés. Les élites ont fréquenté les mêmes écoles et possèdent des intérêts professionnels et personnels irrémédiablement mêlés. Pour que les banquiers soient formellement accusés du fiasco dans la presse, il a fallu que WikiLeaks la mette devant le fait accompli en juin 2009, nombre de journalistes ayant jugé préférable de ne pas se mouiller ; une minorité ayant tout bonnement été censurée. C’est le cas de Jon Bjarki Magnusson – un jeune journaliste devenu figure nationale en faisant quelques révélations – qui passera un bout d’après-midi à me raconter comment le patron de DV – le journal pour lequel il travaillait – fit sauter une de ses enquêtes mettant en cause une des huiles de Landsbanki.

Kristj†n Freyr chez KIMI RECORDS

“La gauche doit nettoyer la merde laissée par la droite”

Aujourd’hui encore, le journalisme islandais baigne dans ses mauvais travers. David Oddsson est ainsi devenu rédacteur en chef de Morgunbladid, le principal journal du pays. Cette réalité hallucinante, tous les jeunes de la scène artistiques de Reykjavik la déplorent évidemment. Si ces Islandais ne font pas confiance à leurs médias, c’est également valable en ce qui concerne le gouvernement de gauche de Johanna Sigurdardottir, élue à la tête du pays après la crise. Tous savent, selon une expression récurrente, que la gauche “doit nettoyer la merde laissée par la droite“.

Mais tous ou presque – même s’ils apprécient souvent le personnage – considèrent que son élection n’a pas changé grand-chose. Comme me le confieront Tómas et Magnus – les membres du duo electro Quadruplos – au détour d’une énième bière chez Bakkus, on leur a parlé de transparence, mais celle-ci tarde à se faire sentir, quasiment deux ans après le tsunami politique et économique.

Tómas et Magnus, les membres du duo electro Quadruplos

Au cours de ces deux semaines passées en Islande, j’ai cru comprendre que cette jeunesse trouve cette crise salvatrice sous certains aspects, sans pour autant la considérer comme un bien absolu, la visibilité sur les conséquences en matière d’éducation, d’économie ou de politique étant encore très incertaine.

Cette incertitude face à l’avenir couplée au rejet des valeurs capitalistes et politiques qui ont façonné la première partie de leur existence explique sans doute le fait que nombre de jeunes se soient aujourd’hui tournés vers des activités artistiques et créatives. Véritable famille, cette jeune scène artistique s’organise comme une communauté, se partage ateliers et locaux de répétition et se serre les coudes, les uns étant toujours prêts à payer à bouffer ou à boire à ceux qui sont fauchés.

Pour autant, l’art ne semble pas vraiment s’imposer comme un moyen de protestation crédible. Tous ou presque ont participé à la révolution des casseroles en décembre 2008 et janvier 2009, mais sans doute plus au titre de citoyen qu’en qualité d’artiste. Quelques heures avant mon départ, j’ai pourtant rencontré une voix quelque peu dissonante. Jón Örn Lodmfjord est poète de 27 ans. Pendant et après la crise, il a tapé sur les hérauts du système à travers son journal Nyhil – un terme assez dur à traduire, contraction de nihilisme et de nouveauté. Courant 2010, le Parlement a rendu public le premier rapport sur la crise, un rapport massif de 2000 pages censé analyser et tirer les conséquences des mécanismes foireux qui ont plongé ce petit pays dans le chaos. Moquant ouvertement un document qui à aucun moment ne prend la peine de réfléchir à l’avenir, Jón l’a détourné et en a fait un livre, une satire poétique singeant le vocabulaire des hommes politiques.

Jon Orn Lodmfjord

Terrassé par une monumentale gueule de bois, ce grand brun barbu aux yeux sombres dissimulés derrière des lunettes ne mâche pas ses mots à l’égard des politiques mais aussi ses jeunes compatriotes auxquels il reproche d’avoir fait de la crise une bataille trop tournée vers des individus mais pas assez vers le système lui-même. Jón dénonce le nationalisme qui a gagné le cœur de beaucoup de jeunes et à la différence de tous les autres ne fait pas preuve d’optimisme pour l’avenir.

Malheureusement, il n’y a pas assez de débats. Beaucoup de gens essaient de créer cette distinction temporelle de “l’avant et l’après la crise” mais dans le fond, rien n’a vraiment changé. On entend souvent qu’on est revenu aux vieilles valeurs – la famille, l’entraide – mais compare avec d’autres pays et tu verras que ça a toujours été très important ici. Il faut arrêter avec cette histoire de vieilles valeurs traditionnelles de l’Islande, parce qu’il n’y en a pas. Quand j’y pense, je ne trouve pas vraiment de trucs positifs à ressortir de cette crise si ce n’est que Jon Gnarr n’aurait jamais gagné avant la crise. Mais si les gens sont en colère ils n’ont jamais trouvé de moyens crédibles pour l’exprimer concrètement.

Le constat de Jón, ce révolutionnaire dans l’âme, est critique, mais toujours est-il que pour la première fois depuis longtemps, les facs d’économie et les écoles de commerce ne sont plus pleines à craquer et la politique, domaine si longtemps laissé à quelques élites, connaît un regain d’intérêt populaire. On ne peut pas reprocher à Jon Gnarr et Johanna Sigurdardottir d’essayer de faire leur boulot, de tenter de faire changer les mentalités et de travailler à expliquer à leur nation que l’opulence d’hier n’est désormais qu’un lointain souvenir.

Mundi, Frikki, Solla, Lili, Mao, les deux Jón, Tomas ou Magnus, eux semblent l’avoir déjà compris. Alors ils avancent, à leur rythme, au gré de leur art et de leurs états d’âme, avec l’espoir sans doute de reconstruire une Islande plus saine, pas pourrie par ce capitalisme qui a désormais inondé la planète entière. Poétique et honorable, leur combat n’est pas vain et il souffle sur l’Islande un doux vent idéologique qui fait chaud au cœur quand on vit parmi ces jeunes, au contact de leurs espoirs et de leur ambition. Mais au regard de l’économie qui semble enfin repartir, il paraît bien difficile à croire que l’histoire ne se réécrira pas de la même façon en Islande comme ailleurs.


Toutes les photos sont l’œuvre de David Arnoux

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L’Islande: pays idéal pour le journalisme? http://owni.fr/2011/04/20/lislande-pays-ideal-pour-le-journalisme/ http://owni.fr/2011/04/20/lislande-pays-ideal-pour-le-journalisme/#comments Wed, 20 Apr 2011 17:00:45 +0000 Loic H. Rechi http://owni.fr/?p=58012 Le 16 juin 2010, le Parlement islandais (l’althing) adoptait une loi visant à créer un cadre législatif ultra-favorable à la publication de journalisme d’investigation. Baptisée Initiative Islandaise pour la Modernisation des Médias (IMMI), Birgitta Jónsdóttir – la député à l’origine du projet – résumait cette loi ambitieuse de la sorte :

L’Islande va devenir l’inverse d’un paradis fiscal, en offrant aux journalistes et aux éditeurs une des protections les plus importantes au monde en faveur de la liberté d’expression et du journalisme d’investigation. L’objectif du paradis fiscal est de rendre tout opaque. Notre objectif consiste à tout rendre transparent.

Pour comprendre la motivation des Islandais à se munir d’une telle loi, il faut revenir en juillet 2009, quelques mois après la terrible crise économique qui terrassait l’économie du pays le plus prospère d’Europe. À l’époque, WikiLeaks – une organisation encore inconnue du grand public – signe son premier grand coup. Le site révèle des documents bancaires qui prouvent ce que tout le monde soupçonnait : juste avant que Landsbanki – l’une des trois banques du pays – ne s’écroule, certains de ses dirigeants ont effacé des lignes de prêts et de dettes à leur profit.

Déjà parfaitement dans son rôle de poil à gratter, Wikileaks dévoile également la teneur des négociations entre les gouvernements islandais, britannique et néerlandais à propos des remboursements consécutifs à la faillite d’Icesave, la filiale de Landsbanki. Assange et sa clique signent l’exploit de mettre en ligne, à la disposition du plus grand nombre, des documents qui n’avaient jamais filtré dans les médias, alors même que la crise a éclaté huit mois plus tôt.

La machine médiatique s’emballe et RUV – la principale chaîne de télévision publique – décide dans la foulée de consacrer une grande émission spéciale aux révélations de Wikileaks. Mais le 2 août 2009, quelques minutes avant la diffusion, la chaîne reçoit une injonction du tribunal de Reykjavik l’interdisant au motif d’une violation du secret bancaire. Sans montrer le sujet, les journalistes racontent tout de même à l’antenne ce qui vient de se tramer en privé et diffusent en retour l’adresse du site Internet de Wikileaks. Le site est pris instantanément d’assaut et l’Islande découvre les dessous d’une crise qui touche chaque foyer de près ou de loin.

Un an plus tard, c’est donc dans ce contexte trouble qu’émerge une loi visant à transformer ce petit pays de 320 000 habitants en un paradis journalistique. Si l’Initiative Islandaise pour la Modernisation des Médias a été décrite comme fantastique dans tous les médias de France et de Navarre, il faut pourtant savoir que l’Islande n’est pas forcément le pays le plus exempt de tout reproche en matière de traitement journalistique. Comme je l’écrivais dans un article consacré au journalisme islandais sur Slate.fr à mon retour en août 2010, “le grand problème du journalisme islandais tient probablement à la constitution socio-démo-géographique du pays elle-même. Sur les 320.000 habitants que compte le pays, Reykjvik et sa banlieue en totalisent 200.000, soit l’équivalent d’une ville moyenne française. [...] On est dès lors, à l’échelle d’un pays, dans une logique de journalisme localier.”

Cette réalité explique sans doute en partie pourquoi il a fallu que Wikileaks foute les pieds dans le plat pour des documents d’importance puissent enfin sortir. Au cours de mon voyage en terre de glace, j’ai eu l’occasion de rencontrer Karl Blondal, numéro 2 de Morgunbladid, le quotidien de référence du pays.

Par le passé, même si Morgunbladid a souvent été considéré comme un journal proche du Parti indépendant, la droite du pays, il a toujours bénéficié d’une aura certaine dans tous les compartiments de la société islandaise. Mais depuis l’année dernière, le journal est sous le feu des critiques. La raison ? David Oddson – Premier ministre conservateur de 1991 à 2004, puis directeur de la banque centrale islandaise de 2005 à 2009 – en est aujourd’hui le rédacteur en chef. Quand on connait le rôle éminent de ce dernier dans les fondements de cette crise dont l’Islande peine à se relever, il y a quoi halluciner. L’occasion de discuter et de confronter Karl Blondal aux contradictions du journalisme islandais était trop belle.

Croyez-vous que c’est plus dur d’être journaliste en Islande qu’ailleurs ?

Ça dépend ce que vous entendez par difficile. C’est évidemment un temps difficile pour les médias. Après le krach, les recettes publicitaires se sont écroulées et il y a des coupes dans tous les journaux ce qui a entrainé beaucoup de licenciements. Bien entendu, ça fait mal. Mais si vous me parlez des conditions de travail en tant que journaliste, je dirais que ce n’est pas si difficile. Cela peut être difficile d’avoir accès à l’information. Mais si on compare avec la condition des journalistes dans des pays comme la Russie ou l’Ukraine alors on peut dire que les conditions ici sont parfaites.

La crise a t-elle modifié durablement votre travail ?

Quand vous n’avez pas autant d’argent qu’auparavant, cela fragilise une rédaction. Dans ce sens, la crise a affecté notre travail. Mais dans le même temps, je crois qu’on est arrivé à maintenir un journalisme de qualité. Les lecteurs continuent à lire de bonnes histoires. On essaie de maintenir notre rôle de tour de contrôle de la société en produisant un journalisme de qualité.

Et aujourd’hui, ça vous parait impossible de voir un nouveau journal payant apparaitre dans les kiosques islandais ? On sait que votre journal est très lié au Parti indépendant, plus que jamais sans doute. Du coup, ne serait-il pas nécessaire d’équilibrer avec un journal qui soit plutôt à gauche ?

Je crois que ce serait vraiment difficile, notamment en raison de l’impossibilité de trouver la manne publicitaire dont chaque journal a besoin. Les finances de Morgunbladid ne sont pas vraiment ma tasse de thé, mais approximativement un tiers des revenus provient des abonnements et deux tiers de la publicité. C’est cette formule financière qui a rendu ce journal viable économiquement. Aujourd’hui la publicité est en baisse, et c’est là que ce serait très dur pour un nouveau journal. Les coûts d’impression et de distribution sont très élevés et il faudrait avoir les poches vraiment profondes pour lancer un nouveau journal. Établir un journal demande du temps, beaucoup de temps. Mais d’un autre côté, si on regarde le besoin de débattre de la société islandaise, un tel journal serait évidemment très bénéfique.

Le web peut-il jouer ce rôle ?

Il y a beaucoup de choses sur le web. La gauche est évidemment très présente en ligne.

Venons-en au cas David Oddson. Comment un homme qui a été Premier ministre, puis directeur de la banque centrale – avec le rôle que l’on sait dans la crise – peut devenir rédacteur en chef du principal journal du pays ? Difficile de devenir un journaliste objectif avec un tel parcours, non ?

C’était évidemment une décision bouillante de lui donner le poste de rédacteur en chef du journal. Comme vous le dites, c’est probablement l’homme le plus controversé d’Islande. Il est comme une boule de feu et peut vraiment polariser le débat. Mais il a beaucoup d’expérience, il connait bien la société. À l’instar de ce rapport du Parlement analysant les raisons et responsables du crash. En tant que directeur de la banque centrale, il a joué un rôle majeur dans ce rapport. Quand on a couvert le rapport, il a pris une semaine de vacances pour ne pas être là à respirer dans le cou de tout le monde. Quand il est devenu rédacteur en chef, il a expliqué qu’il avait étudié le droit et qu’il se souvenait qu’on lui avait dit qu’on ne pouvait être un juge dans sa propre affaire. Donc quand le rapport est sorti, il a décidé de ne pas s’en occuper… Il a réalisé le problème. Mais au final, c’est le propriétaire du journal qui a pris cette décision. C’est peut-être une décision controversée mais c’est son problème.

Mais comment ont réagi les journalistes qui travaillaient au journal ?

Beaucoup de journalistes ont été surpris, d’autres ont été très sceptiques.

Effectivement, certains ont cru que c’était une blague en fait, parce que la possibilité avait fuité quelques mois avant…

Oui il y a eu une rumeur…

Oui et les gens n’y croyaient pas, non ? Puis c’est arrivé.

Puis c’est arrivé… Comme vous l’avez mentionné avant, Morgunbladid est lié au Parti indépendant. Au début des années 70, les rédacteurs en chef du journal ont considéré que ce lien avec le Parti indépendant n’était pas bon. Ils ont décidé de couper le lien. Le journal est resté un journal de centre droite dans sa ligne éditoriale mais il ne suivait pas forcément la ligne du parti, soulignait les problèmes et les décisions avec lesquelles il n’était pas d’accord.

Quand le système des quotas de pêche ont été mis en place, au début des années 80, Morgunbladid a suivi une ligne forte dénonçant cette mesure car elle prenait une ressource nationale pour la placer dans les mains de très peu de personnes. Or les choses ne pouvaient pas être faites de la sorte. David Oddson était d’ailleurs Premier ministre pendant cette période et il y a même eu des moments où il refusait de parler à Morgunbladid. Ce fut une vraie bataille acharnée et le journal était beaucoup plus radical dans ses vues que l’opposition politique. Beaucoup de gens se disent que c’est probablement un pas en arrière d’avoir quelqu’un qui a été à la tête du pouvoir et du parti mais c’est quelque chose avec laquelle nous devons faire. Pour ma part, mon problème est de me concentrer sur l’intégrité des informations que nous publions.

J’ai interviewé de nombreux jeunes Islandais ces derniers jours et chacun d’entre eux, sans exception, m’ont dit qu’ils avaient arrêté de lire le journal depuis que David Oddson est devenu rédacteur en chef. C’est un véritable acte politique de leur part.

Mais on n’a rien changé. Nous avons les mêmes reporters, les mêmes journalistes, nous écrivons les histoires de la même façon et utilisons les mêmes méthodes.

Mais des journalistes ont été virés à son arrivée…

Non, ils ont été virés avant son arrivée. Nous devions faire des coupes budgétaires, renvoyer des gens à cause de la crise.

Et est-ce difficile d’enquêter en Islande ? Sur les banques ou les affaires politiques par exemple ?

C’est dur dans la mesure où les choses ne sont pas encore transparentes. C’est dur d’avoir de l’information. Cela prend du temps. Les gens dans les banques, les gens du gouvernement ne sont pas aussi ouverts qu’ils avaient promis de l’être. Quand le gouvernement a été démis, les demandes étaient “plus de démocratie, plus de transparence”.
Il y avait en fait deux demandes. Ce n’était pas un mouvement unifié qui a fait un coup, c’était des gens de tous horizons. Devant le gouvernement, vous aviez des vieilles femmes avec des manucures parfaites, des jeunes filles, des gens affluant des banlieues de Reykjavik autant que des jardiniers, des infirmières ou des ouvriers des usines de poisson. C’était un vrai échantillon représentatif de la société, pas des membres d’une plateforme démocratique. Et les gens voulaient plus de démocratie et plus de transparence. Et tout le monde a promis de la transparence et ce n’est toujours pas arrivé…

Et pour en venir à l’Initiative Islandaise pour la Modernisation des Médias, en connaissant le contexte journalistique trouble qui a découlé de la crise, est-ce que vous envisagez que ce soit un moyen pour les gens, et les journalistes en particulier, de parler sans peur ?

Je ne suis pas sûr qu’il y existe une peur de parler en Islande en ce moment. Mais vous aurez évidemment des avis contraires selon le milieu dans lequel travaillent les gens. Il y a un besoin de lois fortes pour protéger les lanceurs d’alerte (whistle blowers).

Cela dit, je ne crois pas que cette loi change beaucoup la situation pour les journalistes islandais. Aura t-il un intérêt pour les journalistes étrangers qui désireront imprimer et publier ici, et devenir un havre pour le journalisme ? Je crois que c’est une idée louable mais il reste encore à voir comment c’est supposé marcher. Est-ce que Anna Politkovskaïa se serait portée mieux si son travail avait été publié ici ? Pour prendre un exemple concret… Je ne suis pas sûr que publier ici ou ailleurs protège le journalisme dans un pays où les droits sont bafoués.

Vous n’êtes pas très convaincu…

Bien entendu, j’espère qu’une telle initiative puisse apporter sa pierre à l’édifice mais je n’arrive pas vraiment à voir comment cela va fonctionner…

Le vote de cette loi était aussi directement motivée par le rôle joué par WikiLeaks. Cette organisation a été la première à révéler des informations, documents à l’appui, vraiment pertinentes sur la crise. Comment vous, en tant que journaliste islandais, avez vécu le fait que ce ne soit précisément pas des journalistes islandais qui fassent ce boulot ?

Certaines informations ont été d’abord révélées ici, d’autres informations ont été révélées là… Tout dépend de comment on accède aux documents. Nous avons eu accès à des documents similaires [à ceux de WikiLeaks] provenant d’autres banques, nous en avons utilisé certains mais avons considéré qu’il n’était pas correct de publier l’ensemble. Nous avions accès à toutes les informations relatives à des prêts concédés par les banques. Cela ne veut pas dire qu’il fallait tout publier. Les accords financiers entre individus sont supposés être privés. Ils tombent sous le coup de la loi. Il y avait aussi la question de savoir comment les gens ont eu accès à ces documents.

C’est le genre d’informations à propos desquelles on peut être assigné auprès d’un tribunal parce qu’elles ont été volées. Cela peut avoir de sévères répercussions légales pour un journal de les publier, spécialement si la banque clame que cela a porté préjudice et lui coûte beaucoup d’argent à cause des poursuites. En même temps, quand nous avons accès à une information et que nous considérons qu’elle est bénéfique pour le public, nous la publions. Et il y a d’autres choses, et je ne parle pas de ce qu’avait WikiLeaks, mais on nous a aussi offert des informations qu’il a été problématique de vérifier.

Mais est-ce qu’à un moment donné, WikiLeaks n’a pas pris le parti de les publier précisément parce qu’il n’avait pas de liens directs avec la population du pays. Dans un journal comme le vôtre, dans un pays de cette échelle, le journaliste sait qu’en les révélant, il prend potentiellement le risque de mettre en situation difficile certains de ses proches. Je n’accuse personne, je pose la question.

Je n’espère pas. Je n’espère pas.

Au final, peut-être que la position de WikiLeaks a arrangé tout le monde. Une fois que c’était sorti, les gens pouvaient le reprendre tout en se défaussant d’avoir sorti l’information ?

Aussi loin que j’ai été impliqué, nous n’avons jamais pris le parti de ne pas publier quelque chose parce que cela aurait pu affecter quelqu’un. Mais on a beaucoup d’exemples où nous avons reçu des informations impossibles à vérifier. Ces informations n’avaient pas la crédibilité pour être publiées. C’était anonyme et la documentation était insuffisante. Ce sont deux choses différentes.

Finalement, au regard de ce constat assez mitigé, avez-vous de l’espoir quant au futur du journalisme ici en Islande ?

Je pense que le journalisme en Islande survivra, et que cette société rebondira après ce qu’il s’est passé, et que les choses rentreront dans l’ordre. Évidemment, je ne sais pas encore combien de temps nous imprimerons du papier mais le défi principal est de gérer la transition. Il n’est pas gravé dans le bronze que le journalisme doit être sur du papier. La forme n’est pas un vrai problème ici. La question tient surtout à trouver la solution qui permettra de rendre viable notre travail tout en maintenant un journalisme de qualité.

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L’Islande, nouveau paradis pour la liberté d’expression? http://owni.fr/2010/06/24/islande-nouveau-paradis-pour-la-liberte-dexpression/ http://owni.fr/2010/06/24/islande-nouveau-paradis-pour-la-liberte-dexpression/#comments Thu, 24 Jun 2010 10:22:18 +0000 Astrid Girardeau http://owni.fr/?p=19828 Dans la nuit du 15 juin dernier, le Parlement islandais, l’Alþingi, a voté à l’unanimité la résolution «Icelandic Modern Media Initiative» (IMMI) (littéralement «Initiative Islandaise rela­tive aux médias modernes»). Ce texte vise à faire du pays un «refuge» ou «paradis» pour le journalisme d’investigation, et plus généralement à renforcer «la protection des libertés d’expression et d’information» en Islande, et dans le monde.

L’objectif est de créer une «cadre légal exhaustif» qui garantisse une «protection renforcée» pour les sources, journalistes et publications, et sécurise les communications et données. Soutenue par dix-neuf parlementaires islandais, dont Birgitta Jonsdottir (parti Mouvement), mais aussi le site WikiLeaks et des organisations (Global Voices, la Quadrature du net, etc.), Smari McCarthy, responsable de l’IDFS et Eva Joly, l’initiative doit maintenant être transposée en loi.

L’origine de l’IMMI

L’origine de l’initiative remonte à l’été 2009. Le 30 juillet, WikiLeaks fait fuiter un document interne de la banque islandaise Kaupthing Bank, dévoilant les pratiques financières douteuses de cette dernière. Les faits datent de septembre 2008, alors que le pays est en pleine crise financière, et que deux semaines avant la mise sous tutelle de la banque. Dès le lendemain, le site reçoit une mise en demeure lui demandant de “retirer immédiatement” le document.
De son côté, le 1er août, la RUV, la chaîne nationale de télévision islandaise, décide de couvrir le sujet dans son édition du soir. A son tour, elle reçoit une mise en demeure pour déprogrammer le sujet. La chaîne s’exécute, mais diffuse tout de même un lien vers la page WikiLeaks. Cela fait grand bruit en Islande. D’autant que l’ordre a été donné par le commissaire de Reykjavik, Rúnar Guðjónsson, dont le fils, dirigeant de l’Association islandaise des services financier, est le porte-parole des banques en faillite du pays.

Qu’est-ce qu’un «paradis» en matière de liberté de l’information ?

«Dans le cadre de l’IMMI, la notion de «paradis» signifie que nous prenons toutes les meilleures législations possibles du monde entier afin de renforcer la liberté d’expression, d’information et de parole», nous explique Brigitta Jónsdóttir . «C’est basé sur le même concept que les paradis fiscaux, ils rassemblent toutes les meilleures lois du monde entier pour créer le secret ultime, nous nous voulons la transparence ultime.»

«C’est basé sur le même concept que les paradis fiscaux, ils rassemblent toutes les meilleures lois du monde entier pour créer le secret ultime, nous nous voulons la transparence ultime.»

Actuellement, les deux textes législatifs considérés comme les plus protecteurs du monde pour la liberté de la presse et la protection des sources sont la loi constitutionnelle sur la liberté de la presse (Freedom Press Act) de Suède et la loi sur la protection des sources journalistes de 2005 de Belgique. Auxquels s’ajoute le Premier Amendement de la constitution des Etats-Unis.

Trois pays où sont aujourd’hui principalement hébergés les serveurs de WikiLeaks. Les contenus du site sont eux publiés depuis la Suède car le chapitre trois du Freedom Press Act garantit l’anonymat des sources. Non seulement, il interdit d’enquêter sur l’identité de sources confidentielles, mais le fait de divulguer une telle source est puni par une amende ou de l’emprisonnement. Grâce à cette combinaison, WikiLeaks explique que s’ila été attaqué une centaine de fois depuis sa création, il n’a, à ce jour, jamais perdu.

Le “tourisme de la diffamation”

“Les grands journaux sont régulièrement censurés par le coût des poursuites judiciaires. Il est temps que cela cesse. Il est temps qu’un pays dise, trop c’est trop, la justice doit être vue, l’histoire préservée et nous offrirons un abri contre la tempête” expliquait Julian Assange, fondateur de WikiLeaks, en février dernier. Les poursuites judiciaires sont la plus grande menace du journalisme. Via notamment ce qui est appelé le “tourisme de la diffamation“, c’est-à-dire le fait d’intenter des procès dans des pays aux juridictions les plus défavorables, sans tenir compte du lieu où sont basées les parties.

Ainsi la loi anglaise sur la diffamation est particulièrement hostile aux journalistes et médias, et peut être appliquée pour des délits commis à l’autre bout du monde. “C’est pour cette raison que des éditeurs étrangers comme The New York Times ou The Washington Post envisagent à présent de suspendre leur publication au Royaume-Uni et de bloquer l’accès à leurs sites, explique le Sunday Times. S’ils ne sont pas diffusés sur le territoire britannique, leurs textes ne sont pas susceptibles de constituer des actes de diffamation, donc les éditeurs ne risquent pas de payer de lourds dommages et intérêts.” Avant d’ajouter : ” Et encore, cela ne suffira peut-être pas.

En effet, la loi peut également couvrir Internet. Rachel Ehrenfeld, chercheuse américaine, spécialiste sur le terrorisme, en a fait les frais. Dans son livre, de “Funding Evil: how terrorism is financed and how to stop it, elle accuse le riche homme d’affaires saoudien Sheik Khalid bin Mahfouz de financer des groupes terroristes. Ce dernier a décidé de la poursuivre. Il a pu l’attaquer à Londres pour la vente, via Internet, de 23 exemplaires de son livre “, à des lecteurs britanniques. Et Rachel Ehrenfeld a été condamnée à payer 110.000 £ (130.000 euros) de dommages et intérêts.

Que prévoit l’initiative ?

L’objectif de l’IMMI est de faire de l’Islande «un envi­ron­ne­ment attrac­tif pour l’installation d’organes de presse inter­na­tio­naux, de start-ups de nou­veaux médias, d’organisations de défense des droits de l’homme et de centres de don­nées Internet”. Dans les grandes lignes (représentées dans le schéma ci-dessous), elle vise à faire évoluer la loi islandaise (Icelandic Freedom of Information law) afin de garantir une protection de toute la chaîne. Soit protéger les sources anonymes, et ceux qui livrent des fuites touchant à “l”intérêt général” ; les communications entre sources et journalistes ou médias ; les intermédiaires, en garantissant une immunité aux fournisseurs d’accès Internet et opérateurs.

L’initiative veut aussi statuer sur la durée de responsabilité d’une publication en ligne. Dans plusieurs affaires pour diffamation sur Internet, des arrêts rendus par des cours en Europe, dont la Cour européenne des droits de l’homme, ont considéré que chaque nouvelle lecture est une nouvelle publication. Cela a permis de faire retirer des articles des années après leur publication originale. “Par exemple, en 2008, pour éviter les interminables frais de justice, The Guardian a supprimé plusieurs articles initialement publiés en 2003, qui signalaient la condamnation pour corruption d’un milliardaire impliqué dans le scandale Elf Aquitaine“, rapporte l’IMMI.

Elle veut également protéger du “tourisme de diffamation” en permettant de faire un contre-procès en Islande, et limiter les restrictions préalables, souvent utilisées pour empêcher une publication. Et souhaite enfin créer le prix Islandais pour la liberté d’expression.

Les critiques : inapplicable légalement et techniquement

Certains émettent des critiques sur la réelle portée internationale d’une telle loi. Ainsi le site Nieman Journalism Lab s’interroge : “bien que le paquet législatif paraît très encourageant du point de vue de la liberté d’expression, les avantages pratiques pour les organisations extérieures à l’Islande ne sont pas clairs”. Il se réfère à un article d’ Arthur Bright, du Citizen Media Law Project. Ce dernier estime que l’IMMI ne peut pas changer le principe en vigueur au niveau international, notamment dans les affaires de diffamation en ligne. Principe selon lequel, dit-il, il y a publication au moment du download, et non de l’upload. Selon lui, le fait qu’une publication soit hébergée sur un serveur en Islande ne l’empêchera donc pas d’être poursuivie dans d’autres pays. L’IMMI ne peut pas être “la forteresse journalistique qu’elle est censée être, critique t-il. Même si les lois d’Islande offrent les meilleures protections au monde, elles restent une simple Ligne Maginot”.

Interrogée sur ces attaques, Brigitta Jónsdóttir répond : “une fois que la loi sera passée on verra bien si Arthur Bright a raison ou si, et ça ne serait pas la première fois, il a tort. A ce stade, son avis n’est que spéculations”.

De son côté, Tom Foreski, de Silicon Valley Watcher émet des doutes sur la capacité de l’Islande à pouvoir fournir assez de bande passante si le pays venait à accueillir de nombreux serveurs de médias. Selon lui, “de nouvelles lignes sont prévues, mais à cause de la crise financière de l’Islande, il n’y aucun garantie de quand cela va se faire”.

“Et si nous demandions à Bruxelles une EUMMI?”

Reporters sans frontières a salué “un projet de loi exemplaire en matière de liberté d’information”, et qualifié l’initiative d’‘ambitieuse et positive”. Tout en marquant une certain réserve — “même s’il reste à voir quelles seront les répercussions exactes de cette loi, en particulier sur la protection juridique des journalistes” — RSF estime que “l’Islande s’inscrit en précurseur. Nous espérons qu’elle servira d’exemple à d’autres gouvernements”.

De son côté, Jérémie Zimmermann, de la Quadrature du Net nous indique : «l’IMMI pourrait être la démonstration éclatante qu’une protection sans compromis de la liberté d’expression sur Internet permet d’améliorer les sociétés et la démocratie, mais également de stimuler la croissance économique. A l’heure où de nombreux gouvernements décident des politiques toujours plus répressives allant à l’encontre des citoyens, comme l’ACTA ou le filtrage du Net, l’initiative Islandaise doit faire figure de modèle.» Avant de conclure : “Et si nous demandions à Bruxelles une EUMMI ? »

L’initiative votée, il faut désormais s’attaquer à la partie législative. “Le gouvernement de l’Islande doit changer treize lois différentes dans quatre ministères, nous précise Brigitta Jónsdóttir. Toutes les lois ne seront pas adoptées à la même date, nous estimons que la mise en place de ces lois prendra d’un an à un an et demi”.

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Faillite:|| une série de webdocus pour expliquer la crise http://owni.fr/2010/06/14/faillite-une-serie-de-webdocus-pour-expliquer-la-crise/ http://owni.fr/2010/06/14/faillite-une-serie-de-webdocus-pour-expliquer-la-crise/#comments Mon, 14 Jun 2010 15:54:24 +0000 Martin Untersinger http://owni.fr/?p=18660 Cliquer ici pour voir la vidéo.

Le monde ressent encore les secousses de la terrible crise financière et économique de l’automne 2008. Difficile de rendre compréhensible par le plus grand nombre l’enchaînement qui a mis à bas le château de cartes de l’économie mondiale.

C’est le défi que s’est donné l’agence Piw!’s. Avec “Faillite“, une série de web-documentaires mettant joliment en scènes les données, l’agence a pour vocation d’expliquer, pays par pays, les mécanismes qui ont conduit les économies nationales et mondiale à la faillite.

Mieux, c’est une approche plus large qui a été retenue: les prochains épisodes traiteront des crises en général, à travers l’histoire et je cite “des conséquences de ces situations exceptionnelles sur les peuples“. De quoi nous faire attendre la suite avec la plus grande impatience, si elle est au niveau du premier volet consacré à l’Islande.

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Voir aussi le site de l’agence, ainsi que son blog, où est détaillé le projet de “Faillite“.

Vu sur l’excellent compte Twitter de Jeremy Joly.

Crédit Photo CC Flickr : Alles Schlumpf.

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