Education aux médias: anarchy in the EU

Le 28 février 2011

À l'heure actuelle, il n'existe pas de politique commune européenne contraignante en matière d'éducation aux médias. Le point sur les disparités d'un pays à l'autre.

Les médias sont parmi nous mais contrairement aux aliens, ils ne sont pas forcément méchants, au contraire. C’est en substance ce qu’affirmait la déclaration de Grünwald [pdf], le premier texte fondateur de l’éducation aux médias, adopté en 1982 à l’initiative de l’Unesco, rompant ainsi avec une tradition critique des médias.

Pourquoi donc l’éducation aux médias ? [...]

- parce que plutôt que de condamner ou de louer le pouvoir des médias, mieux vaut reconnaître qu’ils constituent un élément important de la culture contemporaine et peuvent favoriser la participation active des citoyens dans la société ;

Rétrospectivement, ce texte a très bien vieilli : il englobe la majorité des enjeux, en particulier le rôle de l’éducation aux médias dans le bon fonctionnement démocratique, et la rupture technologique qui se dessine avec l’avènement des télécoms. Depuis, les textes successifs ont brodé autour de ces axes. Seul un point n’était pas abordé, l’évaluation des niveaux de compétence. Il le sera dans l’abondante production qui émergera dans les trois décennies suivantes, tant des acteurs de l’éducation que du législateur.

Internet et le numérique en général seront bien sûr davantage évoqués mais Grünwald l’anticipait en insistant sur “les développements de la technologie de la communication”. Le texte se concluait sur un appel aux autorités compétentes à investir ce champ, ce qu’elles vont effectivement faire de plus en plus. Certains experts, comme David Buckingham, voient dans cette démarche une façon de se donner bonne conscience dans un contexte de dérégulation des médias. L’objectif affiché est de fournir aux citoyens les moyens intellectuels de prendre ses distances avec le nouveau système mis en place :

Pourquoi, au cours de ces cinq dernières années, l’éducation aux médias a-t-elle peu à peu accédé au rang de priorité politique ? Après tout, cela fait vingt, voire trente ans que plusieurs d’entre nous soutiennent la thèse de la nécessité d’une telle éducation, et, souvent, prêchent dans le désert. Pourquoi cette urgence subite ? [...] L’éducation aux médias devient alors partie intégrante d’une stratégie visant à créer des « citoyens-consommateurs », le terme est de l’Ofcom1.

Dans la même veine intéressée, l’éducation aux médias est vue par les instances européennes comme une façon d’atteindre les objectifs de la stratégie de Lisbonne en matière économique. Le Parlement européen indiquait ainsi en décembre 2007 dans une communication au Parlement européen, au Conseil, au Comité économique et social européen et au Comité des régions qu’“un niveau élevé d’éducation aux médias peut contribuer à la réalisation des objectifs de Lisbonne en favorisant l’émergence d’une économie de la connaissance et en stimulant la compétitivité dans les secteurs des technologies de l’information et de la communication (TIC) et des médias.”

Des acteurs conscients de la nécessité d’une politique plus unifiée

Pourquoi pas. Sauf que dans la réalité, l’éducation aux médias n’est pas une pratique unifiée. Si les chercheurs sont globalement d’accord maintenant, il n’en n’est pas de même dans en termes de politiques mises en  œuvre. Les nombreux colloques européens sur l’éducation aux médias ont mis à jour les disparités d’un pays à l’autre. Dès 2004, les acteurs de l’éducation aux médias réunis à Belfast pointaient la nécessité d’un observatoire européen pour coordonner les actions et influer au niveau de l’UE pour imposer un cadre contraignant aux États.

Ces disparités s’expliquent entre autres par une absence de définition commune dont la multitude de termes utilisés témoigne : éducation à l’image, éducation aux médias, media literacy… L’éducation aux médias relevant de la culture et de l’éducation, il est difficile d’arriver à un consensus sur ce point. Et d’ailleurs est-ce souhaitable du point de vue de la diversité culturelle ?
Depuis 2003, “la définition de l’Ofcom de l’éducation aux médias — à savoir, la capacité d’avoir accès, de comprendre et d’établir des communications dans une diversité de contextes – a été largement adoptée au niveau international” souligne toutefois David Buckingham (ibidum).

Les dénominateurs communs sont rares : les États financent tous plus ou moins des structures publiques ou associatives ; la presse écrite est le média privilégié, et inversement la radio est délaissée. Pour le reste, on constate de fortes disparités d’un pays à l’autre. Quantité d’argent public donnée, ancienneté de l’implication, histoire et traditions culturelles sont autant de facteurs expliquant ces différences.

En tête

En Finlande,  en Suède et en Norvège, l’éducation aux médias est une discipline à part entière et l’éducation au numérique est bien prise en compte. Dès les années 70, la Finlande a mis en place au niveau national son programme mass media en collaboration avec l’UNESCO et a rapidement anticipé [en] l’arrivée d’Internet en inscrivant dans le programme de l’éducation nationale un programme d’éducation aux médias en 1994.

La France est un des rares pays à posséder une structure dédiée à l’éducation aux médias depuis 1983, le CLEMI (Centre de liaison de l’enseignement et des médias d’information). Néanmoins, ce n’est pas une discipline scolaire à part entière, elle est enseignée de façon transversale, ce qui entraîne des fortes disparités en fonction de l’intérêt que chaque professeur porte à la matière. Autre spécificité, le cinéma est le média privilégié. Il est aussi enseigné à travers les dispositifs d’éducation à l’image du Centre National du Cinéma (CNC) et de l’éducation nationale, dans une vision élitiste de l’éducation aux médias, fort éloignée de la conception britannique des cultural studies et que l’on appelle éducation à l’image (entendu comme “artistique”). L’idée derrière étant aussi culturelle qu’économique, de soutenir une industrie culturelle.

Le Royaume-Uni a inclut des cours de media education dans les programmes scolaires. Si les TIC ont été abordées en priorité ces dernières années, c’est au détriment des mass médias et de la media literacy en général. Contrairement à la France, il n’existe pas de cloisonnement entre le cinéma et les autres médias. En matière de cinéma, plusieurs structures mettent leurs moyens au service de l’éducation à l’image, comme le BFI (British Film Institute)2 et le Film Education, financé par l’industrie du cinéma anglaise, ou bien encore le UK Film Council. Ce dernier, avec le BFI, a été à l’initiative de la charte européenne de l’éducation aux médias de 2008.

Des disparités au sein même de certains pays

Italie, Allemagne, Espagne présentent une très forte dimension régionale. L’éducation aux médias varie donc fortement d’une région à l’autre et les politiques nationales sont quasiment inexistantes ou peu contraignantes.

En Espagne, les politiques nationales ont été progressivement abandonnées, notamment dans le domaine du cinéma et les initiatives laissées aux régions. Si la Catalogne est en pointe dans l’éducation aux médias, dans d’autres régions elle est quasiment inexistante, les initiatives venant plutôt d’organisations comme Grupo Communicar en Andalousie, fondé par des journalistes et des enseignants, ou de festivals de cinéma qui n’hésitent pas à proposer des ateliers pratiques. Le seul médium vraiment actif en Espagne est la presse : des quotidiens nationaux comme El Pais et El Mundo, proposent régulièrement des rencontres en milieu scolaire.

En Italie, le système a été refondé dans le sens d’une autonomie des institutions éducatives, alors qu’auparavant, le ministère de l’Éducation fixait le cadre. Depuis les années 80, l’accent est mis sur l’informatique, le multimédia et les nouvelles technologies, en particulier l’Internet et le téléphone mobile. Nombre d’initiatives en Italie proviennent des universités catholiques, comme en témoigne la création dans les années 90 du CREMIT (Centro di Ricerca sull’ Educazione ai Media, all’ Informazione e alla Tecnología), à Milan.

La rupture de la chute du Mur de Berlin

Les ex-pays de l’Est sont nettement moins bien lotis, pour des raisons historiques évidentes. Il a fallu revenir sur des décennies de monopole étatique sur les médias et leur utilisation au service de la propagande, et rattraper un sous-équipement.

Dans les pays baltes, des petites structures indépendantes (associations, festivals et salles de cinéma, centres culturels) ou des enseignants prennent souvent des initiatives. L’État n’a en effet pas encore mis en place une véritable politique culturelle ou éducative orientée vers l’éducation aux médias. L’éducation au cinéma est prise en compte, dans une perspective esthétique, plutôt que l’aspect citoyen critique. Dans un papier publié en 2010 par l’Université de Vilnius (Lituanie), une chercheuse concluait ainsi [lit et en] que “les politiques d’éducation aux médias en étaient à leur prémices et qu’il manquait encore à la Lituanie le courage et l’état d’esprit nécessaires pour mettre en place des politiques globales de pédagogie critique et d’éducation aux médias.”

L’Estonie a décidé d’investir massivement dans le numérique, une politique économique baptisée “saut du tigre”. Le saut du Tigre, de par sa rapidité, a aussi eu comme conséquence de créer un problème de décalage générationnel, avec des enseignants et des parents devant rattraper le train à marche forcée. L’étude Mediapro [pdf] de 2006 sur l’appropriation des nouveaux médias par les jeunes en Europe pointait déjà ce fait : “Comme il y a très peu de réflexion sur les usages des nouveaux médias, les jeunes [Estoniens] se sentent souvent livrés à eux-mêmes avec le rôle d’expert en informatique de la famille.”

Les pays d’Europe centrale mettent en place des structures d’éducation aux médias, très liées aux organismes chargés de la régulation. À noter en Roumanie la création de Media Monitoring Active watch [ro] une agence qui fait office d’observatoire des médias et œuvre aussi en matière d’éducation aux médias [ro]. “Elle a été fondée par l’équivalent du directeur du Canard enchainé, un grand journaliste très craint et reconnu et qui a eu l’intelligence de s’entourer de jeunes chercheurs”, détaille Evelyne Bevort, directrice déléguée du CLEMI. Pour le reste, la situation générale peut encore être améliorée : “l’éducation aux médias est inscrite dans le programme de l’éducation nationale roumaine mais seulement en option pour les 14/18ans, détaille Nicoleta Fotiade, directrice du département éducation aux médias d’Active watch, pour nous c’est insuffisant. Nous n’avons pas d’organisation comme le CLEMI totalement dédiée à l’éducation aux médias.”

Dans ce contexte atomisé, la déclaration de Bruxelles pour une éducation aux médias tout au long de la vie se veut une réponse consensuelle. Parviendra-t-elle à faire passer les États de grands discours pleins de principes aux actions concrètes ? C’est ce qu’assurait en 2009 Viviane Reding, alors commissaire européenne chargée de la société de l’information et des médias :

Soyez assurés que votre voix sera entendue et que les recommandations formulées lors du congrès de Bellaria ne resteront pas lettre morte.

Image CC Flickr natashalcd, Christopher S. Penn et courosa

Retrouvez notre dossier sur la déclaration de Bruxelles pour une éducation aux médias tout au long de la vie

  1. l’autorité de régulation des télécoms britannique []
  2. une structure mixte public-privé rassemblant les équivalent anglais de l’INA, du CNC et de la cinémathèque []

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