L’éducation, clef de la désintox aux nouvelles technos?

Le 14 juin 2011

Les expériences de sevrage face au monde numérique se multiplient à mesure que le développement des technologies les rendent difficile à maîtriser pour l'homme. La solution, pourtant, réside dans l'éducation aux technologies.

Depuis quelques années, on voit apparaître des expériences de “sevrage numérique temporaire“. Très récemment, plusieurs initiatives sont allées dans ce sens dans le monde scolaire et ont fait débat. En parallèle et au même moment sont publiés des avis qui invitent le monde scolaire à faire encore plus pour les technologies. Ainsi l’initiative de l’association Pasc@line ou encore celle de l’UNESCO s’inscrivent-elles dans ce projet, comme bien d’autres précédentes.

L’impression première qui se dégage de la simultanéité de ces actions est qu’un front semble se créer entre deux conceptions, l’une allant vers la rupture avec les technologies, l’autre allant dans le sens inverse. Mais si l’on regarde sur le fond, les deux initiatives vont bien dans le même sens : d’une part elles promeuvent les technologies numériques, d’autre part elles insistent sur l’éducation des jeunes et la formation des adultes.

Sur un plan philosophique on observe cependant l’émergence d’un paradoxe nouveau, bien que pas aussi récent qu’il n’y paraît : les inventions humaines sont devenues tellement complexes qu’elles génèrent des effets multiples sur la société et que seule une organisation sociale de l’éducation et de la formation peut permettre à l’humain ordinaire de s’en saisir. Autrement dit l’acte d’éduquer n’est plus maîtrisé par l’humain, il ne peut plus se faire que par un complément externe, apporté par la société.

Se déconnecter des écrans ?

L’exemple des expériences de “sevrage numérique temporaire” illustre bien cela. Dans une société qui promeut les écrans dans toutes les composantes de l’activité humaine, on observe l’émergence d’individus de plus en plus nombreux qui voient leur vie “transformée”, réorganisée par les écrans de toutes tailles. L’observation des comportements d’usage des téléphones portables, smartphones et autres écrans personnels met bien en évidence ces comportements.

La promotion récente d’actions d’une semaine ou plus de “vie sans ces machines” jusque dans les écoles confirme bien la prise de conscience d’une certaine incapacité humaine à tenir à distance des pratiques et leurs outils connexes. Comme si l’organisation sociale actuelle tentait d’imposer à chacun l’omniprésence des écrans, aussi bien par la publicité et la mode que, plus subtilement, par l’organisation du travail et de la vie sociale. En d’autres termes, au delà de la séduction, c’est l’organisation de la vie quotidienne qui se transforme par l’intégration de ces outils dans les activités.

Les expériences de sevrage numérique sont d’abord des opérations de communication et séduction. Utilisant les mêmes procédés médiatiques elles agitent volontairement l’idée de mise à distance pour faire prendre conscience de la présence. En soi cela peut sembler une bonne chose. Mais la difficulté est de passer de la séduction de l’idée à l’appropriation de l’idée. Les expériences de ce type s’emparent surtout des réactions à chaud des participants mais ne proposent que rarement voire jamais une analyse en profondeur.

Les initiatives de formation des adultes et des jeunes tentent d’aller dans un autre sens et d’intégrer cette mise à distance au sein même des pratiques de ces outils. Le B2i en a été, dès 2000 la meilleure illustration. D’une part la volonté affirmée d’enseigner et d’éduquer venue des autorités. Mais d’autre part la résistance à cette approche par des adultes en charge d’enseigner.

C’est de ce type d’échec que naissent les initiatives de “sevrage numérique”. Aucune des deux solutions proposées ne parvient à ses fins. Certes la deuxième solution bénéficie, pour l’instant, de la force des pouvoirs publics, mais la lenteur de sa mise en oeuvre laisse sceptique et range certaines de ces initiatives dans la même catégorie que les autres : opération de communication et de séduction comme on le voit avec les conférences scolaires sur les dangers d’Internet qui ravissent les adultes, mais n’apportent que peu d’évolution dans les comportements, et surtout pas ceux des adultes eux-mêmes.

Un monde adulte perturbé face aux technologies

Beaucoup diront, ce n’est pas moi, c’est l’autre. Réaction habituelle dans ce cas, chacun se voulant reconnu comme résistant à la séduction des technologies. C’est un peu comme ces pratiques personnelles cachées de la télévision ou d’Internet dont on ne parle jamais et qui permettent d’avoir une apparence distancée quand on en parle en public. On rencontre ces attitudes aussi dans le monde enseignant.

Ce sont pourtant les jeunes adolescents qui nous rappellent souvent à l’ordre. La régulation de consommation d’écran qui apparaît entre 13 et 20 ans montre qu’ils savent eux-mêmes réguler les choses, si tant est que le contexte le leur autorise. Ce sont d’abord eux qui nous ont appris que l’on pouvait choisir ses activités et ne pas subir les effets de l’environnement. Pourquoi ? Parce que la force de l’adolescence est de chercher à donner sens au monde indépendamment de celui prescrit par les adultes. Du coup les comportements extrêmes et les comportements moyens doivent être entendus comme autant de signes de ce sens en train de se construire. Michel Serres a bien saisi cela dans son récent discours à l’Institut. Car les adultes passent souvent à coté…

Les opérations de “sevrage numérique” sont le signe de la désorientation du monde adulte. Elles ne sont pas inutiles, mais elles sont limitées. Les opérations de formation et d’éducation sont les inscriptions instituées de cette désorientation en essayant de mettre du cadre. Mais ce dont on manque de manière fondamentale, c’est ce que les jeunes nous enseignent : la nécessité constante, permanente, tout au long de la vie de construire le sens du monde qui nous entoure.

C’est trop souvent parce que nous faisons l’économie de ce “travail sur soi” que nous ne parvenons pas, autrement que par des dispositifs externes, à situer les objets à leur juste place dans notre organisation sociale. Au nom de logiques de techniques et de progrès jamais interrogées sur le sens, nous nous retrouvons presque dans l’obligation de mettre en place des dispositifs de remédiation. Le risque que ces béquilles ne deviennent des prothèses est réel. Plutôt que de réfléchir au sens, on préfère renvoyer à des dispositifs externes, formation, séance de sevrage, conférences etc…

L’urgence éducative, dans notre monde actuel, est de travailler non pas à la seule recherche du sens, mais surtout à sa permanente construction par les sujets. Autrement dit, éduquer dans notre société ne peut se suffire d’institutions (remplaçantes modernes de la morale religieuse ou laïque d’antan) qui disent le sens. Si cette modalité de vie en société a pu être portée dans les siècles antérieurs, guidés que nous étions par des croyances de toutes sortes, l’exigence de notre société contemporaine est de développer les compétences personnelles à construire du sens.

Quand on dit dans certains textes, donner sens aux apprentissages, on parle souvent de chercher le sens de ce que l’on fait, mais ce que l’on fait est déjà là. Dans cette nouvelle perspective qui émerge, il me semble qu’il faut permettre à chacun de construire le sens, pas seulement à l’adolescence, mais tout au long la vie. Ne jamais oublier qu’on a un jour fait partie des jeunes qui construisent le monde de demain, et que chacun, quelque soit son âge continue à construire. Certains adultes ont renoncé pour eux-mêmes, mais aussi pour leurs enfants. C’est un signe d’affaiblissement personnel. Les TIC sont une formidable occasion d’interroger à nouveau tous ceux qui ont l’ambition d’éduquer et éventuellement d’enseigner…


Article initialement publié sur “Veille analyse TICE” sous le titre “« Sevrage numérique » et/ou éducation ?

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