Candidat Nicolas Président Sarkozy

Le 26 avril 2012

Nicolas Sarkozy jongle entre son costume régalien et ses habits de conquête. Un casse-tête pour le droit électoral, qui veille à ce que tous les candidats bénéficient, de la part de l’État, des mêmes facilités en vue de l’élection présidentielle. Y compris pour celui qui garde un pied à l'Élysée.

“C’est plus un sujet président qu’un sujet candidat.” L’expression, que nous a adressée un membre de l’équipe de Nicolas Sarkozy, résume bien l’étrange schizophrénie qui a traversé la campagne de ce dernier. Côté pile, il y a Nicolas Sarkozy Président de la République. Côté face, Nicolas Sarkozy candidat. Deux visages d’un drôle de Janus que le droit électoral tente d’identifier et de distinguer, afin “de veiller au respect de l’égalité entre les candidats au cours de la campagne.” Avec plus ou moins de succès.

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La distinction n’est pas aisée. Sur les sujets numériques, l’exercice a pris des allures de casse-tête. Pénalisation de la consultation des sites terroristes ? Sujet Président, nous informe son équipe. L’avenir d’Hadopi ? Sujet candidat avec des petits bouts de Président à l’intérieur. Et il y a plus subtil. Ainsi quand le fondateur de Twitter Jack Dorsey passe à Paris en mars dernier, il rend à la fois visite au chef de l’État et au candidat en campagne. Le site de l’Élysée s’occupant de relayer un communiqué officiel d’un côté, les communicants du candidat alimentant les comptes Facebook et Twitter dédiés à la campagne de l’autre. Quitte à s’emmêler les pinceaux en faisant campagne… au sein même du Palais présidentiel !

“Instantané de campagne: rencontre avec Jack Dorsey, fondateur de Twitter, au Palais de l’Elysée.”

(Légende d’une photo de la rencontre postée sur le compte Facebook de Nicolas Sarkozy)

Un gloubi-boulga qui se corse quand les anciens conseillers du Prince migrent de l’Élysée au QG, tout en assurant le suivi des affaires courantes. Olivier Henrard (conseiller culture) et Nicolas Princen (conseiller Internet) animent par exemple les thématiques numériques du candidat Nicolas, tout en assistant toujours à des réunions du Président Sarkozy.

Le cul entre deux chaises, trône et siège éjectable, Nicolas Sarkozy n’a cessé de balancer entre son costume régalien et ses habits de conquête durant cette campagne, bien au-delà de la seule thématique numérique : la “parenthèse” électorale qui a suivi la tragique affaire Merah en est la preuve la plus criante. “Le problème c’est que le Président est élu pour un certain temps, qui comprend le temps de la campagne” commente Stéphane Beaumont, professeur de droit constitutionnel à l’Université des sciences sociales de Toulouse. Et que la continuité de l’État doit être assurée.

“Mêmes facilités pour la campagne”

Une ambiguïté qui ne poserait pas tant de problèmes si le droit ne s’était fixé pour objectif de “veiller au respect de l’égalité entre les candidats au cours de la campagne.” Sur son site, le Conseil constitutionnel n’y va pas par quatre chemins, abordant la question de front dans sa FAQ : “les candidats exerçant une fonction officielle ne disposent-ils pas d’avantages indus ?” Que nenni répondent les Sages, dans la mesure où la loi s’assure que “tous les candidats bénéficient, de la part de l’État, des mêmes facilités pour la campagne en vue de l’élection présidentielle.” Reste à identifier ces “facilités”, en particulier dans le cas du candidat qui garde un pied à l’Élysée.

Or en l’occurrence, difficile d’obtenir une réponse claire. La gardienne de ce principe est la Commission nationale de contrôle de la campagne en vue de l’élection présidentielle (CNCCEP), cénacle composé de membres du Conseil d’État, des Cours des Comptes et de Cassation, installée le temps de la campagne pour en assurer le bon déroulement. A plusieurs reprises, nous avons fait appel à ses lumières, histoire de savoir si Nicolas Sarkozy et ses équipes s’exposaient à une sanction en confondant fonctions présidentielles et électorales. Et si l’emploi des salles et communiqués de l’Élysée rentrait dans la case des “facilités”. Sans grande réussite : le rapporteur général de la Commission Jacques-Henri Stahl n’a pas donné suite à nos appels. L’un des responsables des services administratifs a toutefois fini par nous répondre, nous indiquant avec difficulté que “rien n’[était] remonté des autres candidats” sur le sujet. La procédure ne peut donc pas s’engager. Elle ne s’enclenche que si la commission “considère comme irréguliers des faits ou des agissements portés à sa connaissance”, écrit le Conseil Constitutionnel.

La CNCCEP a un rôle de passeur, elle n’a aucun pouvoir de sanction. En cas de signalements suspects, elle doit “transmettre d’office” le dossier à une seconde commission, à l’acronyme tout aussi étriqué : la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques (CNCCFP). Car en matière de droit électoral, c’est d’abord le porte-monnaie qui trinque. Et c’est la commission des comptes de campagne qui actionne le couperet financier, évaluant si les irrégularités constatées sont “susceptibles d’affecter le compte de campagne du candidat concerné.”

En d’autres termes, si les candidats sortent des clous, le juge va d’abord chercher à évaluer si cela a un coût. Or dans le cas d’une éventuelle inéquité en faveur du Président sortant, ainsi la réception d’une personnalité comme Jack Dorsey à Élysée en période de campagne, également reçu dans les QG des outsiders François Bayrou et François Hollande, “rien ne prouve qu’il ait coûté quoi que ce soit en termes pécuniaires”, explique un spécialiste du droit électoral interrogé par OWNI. Si ce n’est “des petits fours pour la réception de ‘Jack’.”

Plus encore, rien ne prouve que ce mélange des genres, dont les Sages tentent pourtant de se préserver, ne constitue un avantage électoral. Pour trancher ce second aspect, le juge se pose une deuxième question : le président-candidat l’aurait t-il fait en d’autres circonstances ? “Si l’action de l’élu candidat s’était déroulée même en l’absence de campagne électorale, alors c’est une opération de communication politique mais pas nécessairement -ou pas principalement- électorale. Si à l’inverse, elle est guidée par des considérations liées à la campagne, alors elle est électorale” poursuit notre expert, qui souhaite garder l’anonymat. Le traitement égalitaire des candidats est donc subordonnée à l’appréciation des juges :

Ça dépend ! Du contexte, de la prestation, du support…

Leurre

Pour Philippe Blanchetier en revanche, l’avocat qui représente Nicolas Sarkozy devant le Conseil Constitutionnel et les commissions de contrôle -également membre de l’association en charge du financement de sa campagne-, les termes se posent plus simplement. Le principe d’égalité de traitement des candidats ne renvoie selon lui qu’à “l’égalité médiatique et l’égalité de financement : chaque candidat dispose du même temps de parole dans l’audiovisuel et du même plafond en campagne”. En dehors de ces considérations, le principe ne joue pas et “l’étanchéité a été faite” :

il n’y a aucune interférence entre les fonctions.

Dans le cas des conseillers de campagne passés par l’Élysée, l’avocat nous explique qu’une partie est en “disponibilité de l’Elysée” : ils dépendent désormais de l’association de financement pour la campagne de Nicolas Sarkozy. D’autres en revanche restent “en double poste.” Le calcul se complique alors, puisque leurs activités sont alors à la fois prises en charge par l’association et par Élysée. Simple question de pro rata.

D’autres juristes se font en revanche moins catégoriques, estimant que la confusion des rôles présidentiels et électoraux devraient davantage entrer dans le giron du droit, au-delà des seuls aspects financiers et médiatiques. En particulier sur Internet, où de nouvelles formes de communication apparaissent, sans que les gardiens de l’élection aient le temps de s’adapter. Le tollé provoqué par l’annonce anticipée des résultats du premier tour sur Twitter en est la dernière preuve. “On est confronté à des difficultés”, finit-on par lâcher du côté du CNCCEP. “On fait avec les textes qu’on a ! En 2007, seules 200.000 personnes étaient sur les réseaux sociaux !”
En théorie, le principe d’égalité, et en particulier le devoir de neutralité auquel “tout service officiel de communication est [...] légalement astreint” devraient également se déployer sur le réseau. En théorie seulement.

Ce qui pousse certains à la conclusion que le principe d’égalité est au mieux un mirage, au pire une vaste hypocrisie. “Il est impossible de l’obtenir”, concède Stéphane Beaumont. “On a simplement une législation pour éviter les excès.” En ce sens, l’égalité de traitement est plus “un objectif à atteindre” qu’un “fait à constater” ajoute notre spécialiste en droit électoral. De même, “on ne peut nier que la personne qui détient un mandat ou une fonction est plus ‘visible’ – essentiellement par l’intermédiaire des médias – que celle qui n’en détient pas”, poursuit-il. Une prime au sortant bien réelle mais qui n’est pas forcément synonyme de victoire : de la Présidence de la République aux plus petites mairies, les candidats à leur réélection n’ont pas systématiquement (re)décroché la timbale.

Il n’empêche qu’elle reste le joker, difficilement quantifiable, du président sortant. Qui peut aboutir à des situations ubuesques : revenant sur l’affaire Merah, Stéphane Beaumont critique l’artifice des parenthèses alors mises en place pour distinguer la parole présidentielle de la parole du candidat :

Les parenthèses sont illusoires car Nicolas Sarkozy était plus que jamais dans le champ de l’autorité politique, face à quelqu’un qui a violé la Constitution et les droits élémentaires de la Déclaration des Droits de l’Homme.

Pour le juriste, “l’idéal serait de trouver un autre système”. “Par exemple que la Constitution prévoit le remplacement du Président de la République par le Président du Sénat”, dès que le premier se lance en campagne. Histoire de couper court à toute ambiguïté. Et mettre un terme à ce grand jeu de dupes.


Illustration originale par Hossam Et Hamalawy [CC-bync] Remix par O. Noor pour Owni /-)

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